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modernes ont distingué des rédactions successives, d’abord courtes, puis allongées, puis de nouveau raccourcies. Cette hagiographie légendaire est une des branches les plus riches de la littérature populaire et, en même temps, une des sources les plus précieuses de l’histoire nationale[1].

L’on s’imagine souvent en Occident que l’église gréco-russe ne compte dans son empyrée que des saints anciens, pour la plupart antérieurs à la séparation de Rome et de Byzance. Les écrivains catholiques répètent constamment que l’Orient, si riche en saints avant le schisme, n’en enfante plus depuis le schisme ; à les en croire, l’église gréco-russe aurait même cessé d’en revendiquer, confessant elle-même sa stérilité[2]. Rien n’est moins vrai. De pareilles assertions montrent simplement à quel point l’église orientale est mal connue de l’Occident. Loin de n’avoir plus de saints depuis une dizaine de siècles, l’Orient, la Russie en particulier, en compte une multitude. L’église russe possède des saints, des bienheureux ou des vénérables (prépodobnye) de toutes les époques, de sainte Olga au XVIIIe siècle. Les catacombes de Kief seules en abritent plus d’une centaine dont les moines de Petchersk ont dressé le catalogue pour l’édification des pèlerins. Moscou, Novgorod-la-Grande, Pskof, toutes les anciennes villes, tous les anciens monastères ont leurs saints et leurs vénérables[3].

Parmi ces bienheureux, dont la réputation s’étend parfois de la Baltique au Pacifique, il y a des martyrs, des évêques, des princes, des moines surtout. Ces saints russes ont, comme leurs icônes et comme leur église elle-même, quelque chose d’ancien et, pour répéter le même mot, d’un peu archaïque. La plupart proviennent de l’église ou du cloître et y ont passé la plus grande partie de leur existence terrestre. Beaucoup sont des anachorètes ou des ascètes d’un type tout oriental, comme ces bienheureux de Kief qui ont vécu des années immobiles dans la nuit de leurs catacombes. Quelques-uns, tels qu’Alexandre Nevsky, le saint Louis du Nord, sont des héros nationaux ; d’autres, tels que saint Serge, saint Tryphon, saint Etienne, l’apôtre de Perm, sont des convertisseurs de

  1. Voyez, par exemple, M. Bouslaief : Itoritch. Olcherki Roussk. narodn. slovesnosti i iskousstva, II, p. 97-98, et M. Klioutchevski : Drevne-Rousskiia Jitiia Sviatykh kak istoritch. istotchnik.
  2. Ainsi, par exemple, un des apologistes les plus distingués de l’église catholique, M. l’abbé Bougaud, écrivait : « Non-seulement l’église gréco-russe n’a plus de saints, mais elle n’en revendique même plus. « Le Christianisme et les temps présens, t. IV, 1re partie, chap. XI.
  3. La « Société des amis de d’ancienne littérature russe » a, par les soins de M. N. Barsoukof, publié une sorte de nomenclature bibliographique des plus connus de ces saints nationaux. (Istotchniki rousskoï agiografii, Saint-Pétersbourg, 1882. Cf. M. Yakoutof : Jitiia sviatykh Sév. Rossii, 1882.)