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un livre entre les mains, on leur a déjà mis un cheval entre les jambes. A douze ou treize ans, pour achever leur éducation physique et leur donner quelque teinture de science, le père les conduit à l’école militaire ; au besoin il vendrait, pour en payer les frais, son dernier moulin. Ainsi faisait déjà l’aïeul, ainsi fera le petit-fils, et ainsi de suite, et : « Vive le roi ! »

Ainsi s’est formée et perpétuée sur toute la surface du sol une race de forts et de braves, nés pour la guerre, naturellement aptes à la faire. Une longue sélection les a doués pour l’action, taillés pour la lutte : jarret d’acier, poignet de fer et poitrine d’athlète, plus de muscles que de nerfs, ils ont tout ce qu’il faut pour courir à l’ennemi, le frapper et le terrasser. « En avant ! » telle est leur devise, et quand ils s’élancent au combat, leur emblème, c’est le coq gaulois se dressant sur ses ergots et poussant son cri de bataille. Voilà bien leur image, en effet. Un peu vains, un peu glorieux, raides, portant beau, formant une caste à part et fiers d’y appartenir, méprisant tout ce qui n’est pas d’épée, querelleurs, amoureux comme tout coq bien né, mais avec cela si brillans, d’une si chaude et si chevaleresque bravoure, aimant et faisant si bien leur métier, trouvant si naturel de donner leur vie pour la gloire assaisonnée d’un morceau de pain, de si bons coqs de combat enfin, de vieille et de pure race française, qu’on ne peut s’empêcher de les admirer et de saluer en eux plusieurs siècles de dévoûment et d’héroïsme.

Le cadre des bas officiers n’a pas derrière lui cette longue tradition d’honneur et de fidélité. Mais quel solide mérite ! Dans les régimens, ce sont eux qui expédient le gros de la besogne et règlent tout le détail du service. Blanchis sous le harnais, on peut s’en rapporter à leur expérience et se fier à leur autorité : ferrés sur le règlement, à cheval sur la discipline, on peut être sûr qu’ils sauront faire observer l’une et l’autre. Seulement, pourquoi les appeler « bas ? » Il n’y a rien de bas dans l’armée ! Et le fusil, tout comme l’épée, ne devrait-il pas anoblir ? Pourquoi surtout cette barrière infranchissable entre eux et les officiers particuliers ? Beaucoup seraient très capables de monter au commandement d’une section de compagnie et même d’une compagnie. Quelle sottise et quelle imprudence de les confiner dans leur médiocrité !

A présent, le soldat. Dans les troupes réglées, l’espèce en était généralement bonne. Pour dégrossir un paysan, il faut des mois ; en quelques semaines, on peut d’un gamin de Paris faire un militaire très présentable. Or c’était surtout dans la population et sur le pavé des grandes villes que se recrutaient les régimens de ligne. Dans le tas, sans doute, il se trouvait bien quelques drôles