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viennent les tragédies et comédies latines et françaises, voire les ballets où, avec les élèves, sont mêlés des danseurs de profession. En 1658, au collège Saint-Ignace, Loret admire le pas de « la Vérité sortant du puits… » Holà ! .. On se rassure en pensant que les femmes, à cette époque, ne dansaient pas sur la scène : c’est le Vrai, tout bonnement, qu’on voyait chez les Jésuites sous le costume de la Vérité. D’autres fictions, d’ailleurs, éveillent moins d’inquiétudes ; celle-ci, par exemple : Jansénius enchaîné figure dans le cortège triomphal de la Grâce suffisante.

Hélas ! Jansénius n’est pas sitôt vaincu et inoffensif. Desmarets de Saint-Sorlin ayant à la légère taquiné ses disciples, Nicole fulmine contre les gens de théâtre, « empoisonneurs publics, non des corps, mais des âmes… La comédie est une école et un exercice de vice. Le métier de comédien est un emploi indigne d’un chrétien ; ceux qui l’exercent sont obligés de le quitter. » Ainsi gronde le moraliste de Port-Royal ; et, comme un écho qui aggrave le son, la voix du prince de Conti prononce : « La troupe des comédiens est une troupe diabolique. » Tartufe, qui survient, n’apaise pas ce tapage. La sévérité de l’Église est réveillée. En 1671, Floridor tombe malade et veut se confesser ; avant de l’entendre, le curé de Saint-Eustache exige qu’il renonce au théâtre : il y renonce, il meurt, — et on l’enterre sans cérémonie. S’il avait su, il ne serait pas mort ! En 1673, c’est le tour de Molière ; aux dernières Pâques encore, il a communié : « J’en suis fort aise, paraît dire M. Harlay de Champvallon, archevêque de Paris ; eh bien ! adieu maintenant,.. ou plutôt au diable ! »

Tout va de mal en pis. La troupe de Molière et celle de l’hôtel de Bourgogne, en 1680, ont beau se réunir sous le titre de « Comédiens du Roi ; » la nouvelle compagnie a beau appartenir à la « maison du roi » et n’être sujette qu’à son pouvoir, délégué aux quatre premiers gentilshommes de la chambre, voici qu’elle reçoit l’ordre, en 1687, de déloger de l’hôtel Guénégaud, — et pourquoi ? Parce qu’il est trop voisin du collège des Quatre-Nations, qui va s’ouvrir sous l’autorité de la Sorbonne. C’est la Sorbonne elle-même qui réclame cette expulsion : ô M. Larroumet ! .. Et voici la Comédie en état de vagabondage : c’est le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois, celui de Saint-André, celui de Saint-Eustache, qui la font écarter de leurs paroisses, — jusqu’à ce qu’elle trouve un asile sur le territoire de Saint-Sulpice, juste un siècle avant la Révolution.

C’est que, même après le désastre des Jansénistes, leur esprit, sur ce point, demeure le maître. L’Église gallicane considère la doctrine du concile d’Arles comme faisant partie de ses biens propres : point de sacremens, point de sépulture pour les comédiens ; chaque dimanche, au prône, les curés de Paris rappellent cette exclusion. Nul espoir d’un traitement meilleur : la clé du ciel a été jetée dans un puits, il y a