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par M. Lockroy, et les démonstrations affairées de la ligue des patriotes ; on se trompe surtout si on croit le réveiller de sa sceptique placidité avec les divulgations par intermédiaire et les affaires d’honneur de M. le général Boulanger, qui ne peut pas se résigner à vivre tranquille ou à faire simplement, silencieusement son devoir dans un des premiers commandemens de l’armée française.

Décidément, c’est M. Clemenceau qui avait raison : l’ancien ministre de la guerre a trop aimé le bruit et l’éclat, il ne peut s’accoutumer à l’obscurité et à la paix de Clermont-Ferrand. Même après avoir quitté la scène, il ne peut se résigner à l’idée qu’il ne la remplit plus. Il a ses journaux et ses confidens pour réchauffer l’attention déjà quelque peu endormie. Il ne choisit guère du reste, il n’hésite pas à se servir de tous les moyens et du premier venu. Il tient à occuper quand même et à tout prix le public de ses actions et de ses pensées, de son rôle, de son personnage, des conspirations dont il aurait en le secret, des coups d’état qu’on lui aurait proposé d’accomplir au profit des princes ou de lui-même, de l’incorruptibilité de ses ambitions républicaines. Il faut qu’il fasse parler de lui, et si on ne parle pas de lui comme il l’entend, il prend au besoin à partie les récalcitrans à sa gloire, M. Jules Ferry, par exemple, pour son discours d’Épinal. C’est la représentation qui vient de nous être donnée pendant quelques jours, et qui a commencé par ces prétendues révélations venues mystérieusement de Clermont-Ferrand, publiées avec fracas dans un journal, révélations dont l’unique mérite était d’avoir été évidemment dictées ou inspirées par le commandant en chef du 13e corps. Ils se sont mis à deux, l’inspirateur et le confident, pour imaginer cette mystification des quatre-vingt-quatorze généraux allant offrir leur dévoûment à tout faire avec leur épée à l’ancien ministre de la guerre, et de cette délégation de la droite allant tenter la vertu de M. le général Boulanger. On n’a parlé que de cela pendant quelques jours ; c’était peut-être uniquement ce qu’on voulait. Que reste-t-il aujourd’hui de ces divulgations, de ces commérages avec lesquels on n’a pas même réussi à émouvoir un instant l’opinion ?

Tout en vérité est étrange dans cette histoire, et la hardiesse de l’invention et la maladresse de celui qui a cru se refaire une popularité. Où sont et de quels noms se nomment ces quatre-vingt-quatorze généraux qui seraient allés un beau jour déclarer à l’ancien ministre de la guerre qu’ils étaient « prêts à tout » avec lui ? Comment l’entend-on ? Quel sens attache-t-on à cette distinction entre ceux qui seraient allés au ministère et ceux qui n’y seraient pas allés ? S’il ne s’agissait que de la guerre qui semblait alors imminente, comme on le prétend aujourd’hui, ils n’auraient pas été quatre-vingt-quatorze, ils auraient été plus de deux cents, depuis le plus vieux maréchal jusqu’au plus jeune brigadier de l’armée. Ils n’avaient pas d’ailleurs besoin d’aller s’offrir.