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Que l’homme voit toujours s’écrouler ce qu’il fonde,
Que le mal et l’erreur sont puissant en ce monde,
Que nos rares espoirs sont aussitôt flétris,
Qu’ici-bas nous vivons ainsi que des proscrits
Dans les soucis, dans les douleurs, dans les alarmes.
Et pourquoi cet exil de chagrins et de larmes ?
Pour l’antique péché de parens inconnus.
Mais la mort délivrait ? Non pas. Aux seuls élus
Le prêtre promettait, la figure éblouie,
Un lointain paradis dont le nom seul ennuie.
Quant aux autres, le Dieu d’amour et de bonté,
Pour une faute unique à jamais irrité,
Leur gardait, sans pitié des faiblesses humaines,
L’insigne et monstrueuse éternité des peines,
On ne sait quel absurde et ridicule enfer.
Mais, en se soumettant à cette loi de fer,
Pour se présenter pur à la fin de la route,
Suffit-il de prier, de se soustraire au doute,
D’accomplir saintement les devoirs du chrétien,
D’aimer autrui, de dire et de faire le bien
Et d’imiter Jésus comme un humble disciple ?
Il faut croire en un Dieu tout ensemble un et triple,
Au corps de Jésus-Christ dans le pain s’enfermant,
Aux morts ressuscités du dernier jugement,
Au fils né sans péché d’une vierge sans tache ;
Et la raison, ainsi qu’une chèvre à l’attache
Et qui ne peut brouter dans le pré défendu,
Est à jamais captive ; — et qui doute est perdu.

Je l’entendis longtemps parler d’une voix dure,
Mêlant son dogme trouble à la morale pure
Et, dans son rêve noir et respirant l’effroi,
Jetant les mots d’amour, d’espérance et de foi,
Pareil à l’orateur qui, sous le drapeau rouge,
Parlait aux malheureux réunis dans le bouge
De progrès, de bonheur et de fraternité.

Je sortis de l’église encor plus attristé.

Les astres scintillaient, la nuit était sublime ;
Et, levant mes regards anxieux vers l’abîme
Où, lançant jusqu’à moi leurs sereines clartés,
Vibraient les milliards de mondes habités,