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en contradiction avec lui-même, en lui rappelant qu’il avait supprimé, lui aussi, la ligue agraire ; mais, en définitive, à quoi servent les récriminations ? Maintenant que le cabinet a sa victoire, la situation en est-elle meilleure ? N’est-il point à craindre qu’à l’association publique qui va être supprimée ne succèdent les sociétés secrètes, que la sévérité des répressions ne réveille les passions criminelles, les fureurs meurtrières en Irlande ?

Ce qu’il y a de sûr, c’est que cette campagne qui recommence contre le sentiment national irlandais peut être pleine de difficultés, de périls de toute sorte, et que le ministère lui-même risque de s’user à cette œuvre ingrate. Les libéraux unionistes qui l’ont soutenu jusqu’ici, qui lui ont assuré une majorité, ne lui manqueront probablement pas ; malgré quelques réserves, lord Hartington lui reste fidèle. Déjà, cependant, M. Chamberlain et quelques-uns de ses amis se sont refusés à voter la suppression de la ligue, et dans la masse du peuple anglais on peut remarquer de curieuses perplexités ou même d’étranges retours d’opinion. Depuis quelque temps, les élections se sont succédé à Spalding, à Coventry, ces jours derniers encore à Northwich, et partout les conservateurs ont été remplacés par des libéraux, par des amis de M. Gladstone. La politique du home-rule, vaincue dans le parlement, semble retrouver faveur au scrutin populaire. Si, par un prodige bien imprévu, le ministère, d’ici à la session d’hiver, devait réussir à pacifier l’Irlande, il triompherait assurément, il reprendrait l’avantage sur ses adversaires ; si, au contraire, la lutte qu’il engage n’a fait que s’envenimer, si l’Irlande reste l’éternelle révoltée, défiant les compressions, le cabinet de lord Salisbury est exposé à reparaître plus que jamais affaibli devant le parlement. C’est là la question qui n’intéresse pas seulement un ministère, qui intéresse l’empire britannique tout entier.

Si dans le brouhaha européen, dans cette perpétuelle mêlée de toutes les questions, de toutes les ambitions et de tous les intérêts, il est un pays dont la politique garde d’habitude une allure placide, c’est la Hollande. Ce n’est point sans doute que les Hollandais n’aient, comme d’autres peuples, leurs luttes intérieures, et peut-être leurs périls extérieurs. La Hollande elle-même a ses socialistes qui se réveillent de temps à autre, et se livrent à quelque turbulente manifestation. Elle se sent aussi parfois vaguement menacée dans son indépendance, et exposée à être prise un jour ou l’autre dans le redoutable engrenage des grandes crises de l’Europe ; mais les tentatives de propagande socialiste ont eu jusqu’ici peu de succès dans un pays de bon sens, et le danger extérieur ne deviendrait possible que s’il y avait une conflagration universelle où se déploierait de nouveau l’esprit de conquête. La Hollande, fort heureusement pour elle, n’en est point à ces