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dans lequel il indiquait les conditions auxquelles l’empereur, qui ne demandait pas la paix, consentirait à l’accorder. C’étaient, en substance, la restitution par la France de Landau, Fribourg, Kehl et Brisach ; la démolition par elle du Fort-Louis et de toute fortification élevée dans les îles du Rhin ; la cession à l’Autriche de toutes les possessions espagnoles en Italie, même des villes encore occupées par des garnisons espagnoles, même de la Sicile attribuée au duc de Savoie par le traité d’Utrecht. Les réclamations des princes italiens seraient soumises aux décisions de leurs juges naturels, c’est-à-dire des chambres impériales. Le roi reconnaîtrait les changemens effectués en Allemagne, rendrait aux princes de l’empire tout ce qu’il leur avait pris depuis la paix de Ryswick, garantirait les privilèges des Catalans. Le ci-devant électeur de Cologne serait rétabli dans ses états, droits et dignités ; mais le ci-devant électeur de Bavière ne recevrait que la portion de ses anciens états qui n’avait pas été aliénée en faveur de l’électeur palatin. Toutefois, un neuvième électorat serait créé en faveur de sa maison, à condition qu’il renonçât pour lui et ses successeurs à toute réclamation, satisfaction ou dédommagement. Enfin, aucune renonciation quelconque ne serait demandée à l’empereur et aucune mention ne serait faite, dans le nouveau traité, des traités conclus à Utrecht. Les conditions excessives de ce mémoire étaient encore aggravées par la sécheresse des termes. Eugène avait été jusqu’à qualifier de « contraventions » commises par la France les changemens qui avaient été apportés par la guerre au traité de Ryswick.

Ce document, rédigé sans doute dans l’intention d’agir sur l’esprit de Villars, était loin de renfermer la véritable pensée d’Eugène. Celle-ci était bien différente ; nous la trouvons dans le rapport confidentiel qu’il adressait le même jour à l’empereur, et dont le ton modéré et prudent contraste singulièrement avec l’allure hautaine du mémoire. Eugène y décrit les dangers d’une nouvelle guerre entreprise sans alliés, contre le gré des princes de l’empire, sous la menace de graves complications du côté du nord et de la Turquie, et engage fortement son souverain à faire la paix aux conditions a passables » qu’il croit pouvoir obtenir, à savoir : l’abandon de Landau, le maintien des fortifications du Fort-Louis en compensation de Fribourg (c’est la moindre, pense-t-il, que la France doive accepter), et le rétablissement complet des électeurs, sans dédommagement. À ces conseils prudens, Eugène, ajoute celui de rompre immédiatement si l’empereur ne croit pas devoir accepter cette base, ou s’il craint de ne pouvoir faire prévaloir ses autres demandes. Il importe, en effet, beaucoup à la conduite de la future guerre que la rupture ait été amenée en discutant les intérêts de