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a-t-il fait rédiger par Torcy, avec toute la compétence qu’on lui connaît, un texte tel qu’il le comprend, et il adresse ce modèle à Villars, en lui ordonnant de le présenter à signer au prince Eugène, et, si celui-ci refuse, de revenir.

La leçon était rude, elle était excessive ; les critiques adressées au projet étaient certainement méritées, mais le rapprochement avec 1709 était injuste et gratuitement blessant : il n’y avait aucune analogie ni de fond ni de forme entre l’œuvre imparfaite de Villars et l’humiliant ultimatum de La Haye. On aurait dû ne pas oublier à Versailles que, si la France n’avait pas subi la dure loi de 1709, c’était grâce à Villars ; on n’aurait pas dû rappeler la triste page qu’il avait déchirée de son épée et effacée avec son sang. Aussi était-il dans son droit en écrivant avec humeur à Torcy : « Je n’ai jamais cru que rien de ce qui s’est passé ici put ressembler aux préliminaires de La Haye ni au traité de Gertruydenberg, ni que la demande de Porto-Longone pût avoir un rapport quelconque avec celle de Strasbourg… n Et au roi, avec plus de respect et d’émotion : « Il me semble que la restitution totale des deux électeurs, la paix de Ryswick en entier, ne ressemblent guère aux propositions de La Haye et de Gertruydenberg, auxquelles aussi Votre Majesté ne devait guère s’attendre, après des campagnes aussi glorieuses que celles que ses armées viennent de foire, et dont la dernière entreprise, estimée impossible par la plupart des officiers-généraux, n’a été faite, j’ose le dire, que par mon zèle et mon ardeur pour votre gloire et votre service. » Mais où il dépassa, lui aussi, la mesure, c’est lorsqu’il entreprit de justifier son œuvre et lorsqu’il invoqua le souvenir de Condé et de Turenne pour démontrer qu’il n’y avait pas de paix « plus glorieuse » que celle qu’il avait négociée. Ce qui le mortifiait peut-être plus encore que la blessante assimilation avec 1709, c’était l’accueil fait à sa rédaction et l’envoi d’un texte nouveau pour être substitué au sien. « On m’a traité en écolier ! » écrit-il à Voysin, en accompagnant cette apostrophe des épithètes les moins diplomatiques à l’adresse des « imposteurs » qui ont répandu des calomnies sur son compte et à celle des ministres qui ne savent pas le défendre. Vis-à-vis d’Eugène surtout, cette substitution l’humiliait profondément, car elle prouvait le peu de confiance que sa propre cour avait dans son habileté.

Villars ne pouvait pourtant se dispenser de communiquer au prince le nouveau projet ; il le lui fit parvenir par un secrétaire. Eugène demanda vingt-quatre heures pour l’étudier à loisir. Il n’était pas moins désappointé que Villars, mais pour des causes plus légitimes ; Le texte préparé à Versailles faisait disparaître