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Français n’attacherait peut-être pas une très grande importance à cette partie de l’ouvrage, et dirait peut-être : « Mme de Staël a eu tout le temps de bien lire et de bien entendre les philosophes et les poètes allemands ; mais elle n’a en nullement le loisir d’étudier les mœurs allemandes, et comme elle se connaissait en romans, elle en a fait une idylle, qui est charmante. Il y a à cela plusieurs raisons : la première est qu’elle y a séjourné peu de temps ; la seconde est que, sans y prendre garde, elle a un peu écrit ce livre comme Tacite les Mœurs des Germains, avec une intention obscure de satire ou du moins dans un esprit de critique à l’endroit de là France telle que l’empire l’avait faite. Il ne faut même pas dire absolument : telle que t’avait faite l’empire. Mme de Staël a toute sa vie été partagée entre l’amour de la société française, brillante, polie, spirituelle, et une certaine impatience à L’égard de cette même société française, brillante, spirituelle et railleuse. Il y a une foule de protestations, dans le livre de la Littérature, contre « l’esprit moqueur » des Français, si desséchant, si destructeur de la sensibilité et de l’expansion. La sentimentalité et la bonhomie superficielle des Allemands devaient séduire une personne qui n’a guère en le temps de creuser et d’aller au fond. On peut se tromper à ces choses, certaines gens mettant leur bonté au dehors et d’autres la mettant au dedans. Ce n’est qu’une différence de place et pour ainsi dire d’aménagement ; mais, pour qui juge vite, cela peut tromper sur le fond des choses. L’Allemagne, au sortir des salons de Paris, et à on moment où elle avait peu à se louer de la France, a été pour Mme de Staël la petite ville de La Bruyère, laquelle est infiniment séduisante. On ne peut pas savoir si, à y séjourner plus longtemps, elle n’eût pas désiré d’en sortir. »

Je suis à peu près de l’avis du critique anglais ou américain que je suppose. Et encore je ferai remarquer que Mme de Staël n’a pas été si aveuglée par toutes les raisons que, d’après lui, elle avait de l’être. Elle est bien un peu désobligée quelquefois par cette affectation contraire à celle des Français, qui consiste à jouer le sentiment comme nous en jouons l’absence, qui « s’exalte sans cesse » et qui a fait de la coquetterie avec de l’enthousiasme, comme nous en faisons avec de l’esprit et de la plaisanterie. « Il faut croire que, par tout pays, il est bien malaisé d’être simple.

Mais cette vue générale des Allemands occupe beaucoup moins de place dans l’ouvrage même que dans les préoccupations du Français ou de l’Allemand qui le lisent. Ce qui a captivé surtout Mme de Staël ; ce sont les grands esprits de l’Allemagne, les livres allemands, et la philosophie et l’art, nouveaux pour elle, qu’elle y a. trouvés. Les erreurs de détail sont nombreuses. Mais, de premier