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coup, les grandes lignes ont été saisies et marquées d’un trait vigoureux. Elle entrait dans l’Allemagne poussée par un vif désir d’échapper au monde de la force brutale, du calcul froid, et aussi de la légèreté moqueuse. Comme toujours, elle envoyait ses passions à la conquête de ses idées. La prise, cette fois, fut heureuse, et elle trouva qui lui répondit.

Une philosophie qui n’avait rien de la psychologie exacte et nette, mais sèche et bornée de la philosophie française du même temps, une philosophie audacieuse et aventureuse, visant à l’universel, prétendant expliquer l’énigme du monde, on tout au moins embrasser le monde tout entier dans le plan de ses systèmes et l’échafaudage de ses constructions ; profondément idéaliste, toujours portée, quelque route du reste qu’elle prenne, à voir les faits et les choses à travers une idée, et à absorber et dissoudre choses et faits dans une pensée pure ; toute soulevée d’imagination et toute échauffée de sentiment, et mettant toujours beaucoup d’imagination dans la raison, et très disposée à en appeler de la raison froide au sentiment exalté ; constamment pénétrée du reste, et sans humilité, de la dignité humaine, de la grandeur de l’esprit humain, de la supériorité d’une pure et grande pensée humaine sur tout ce qui l’opprime, la gêne ou la contredit ; une philosophie de métaphysiciens subtils, de sages romanesques et de rêveurs généreux : voilà ce qu’elle rencontra, ce qui l’attira, l’enchanta et la ravit. — C’était elle-même pensée par plus grands qu’elle. C’était son goût de la grandeur humaine ; c’était son imagination hardie dans le maniement des idées ; c’était son désir d’élever les points de vue et d’élargir les horizons ; c’était son cœur aussi, son besoin de foi forte et de croyances généreuses, et comme une permission à elle donnée par des philosophes de faire passer ses sentimens dans ses idées.

Et c’était, remarquons-le, c’était encore, en une façon, son XVIIIe siècle. Cette audace à tout remettre en question, comme si l’on était à l’origine du monde, ce goût des systèmes généraux et des théories universelles, ce grand travail ad integro, cette table rase et par-dessus l’explication de l’univers ; cette recherche d’un nouveau fondement, morale, sentiment, idée pure, sur lequel on va reconstruire, de toutes pièces, l’humanité, et plus encore ; c’était la témérité séduisante, « subtile, engageante et hardie » de ces recommencemens que les hommes prennent toujours pour des renaissances, et pour des naissances même ; c’était, non point l’esprit, mais la démarche, l’élan, le transport de fierté naïve des philosophes du XVIIIe siècle ; c’était le XVIIIe siècle, mais le XVIIIe siècle allemand, plus sérieux, plus méditatif, plus contemplatif, et plus