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leur prison d’un eldorado. Il fallait dire cela, ce qui n’est pas très difficile ; mais, de plus, étudier, dans son lent progrès à travers les écrits philosophiques du XVIIIe siècle, et tout autant dans le Rêve de Bougainville que dans le Contrat social, et bien ailleurs, la formation de cette nouvelle croyance, si forte, si ardente, pleine du fanatisme à rebours qui caractérise l’incrédulité militante.

Il fallait peut-être aussi nous donner une sorte d’histoire de l’idée de patrie au XVIIIe siècle. On croit avoir beaucoup dit quand on a constaté l’affaiblissement du sentiment monarchique au dernier siècle. Je ne sais, mais il me semble bien que le sentiment monarchique n’est qu’une forme du patriotisme, sentiment qui a besoin d’avoir une forme de ce genre, concrète et sensible, pour exister. Voyez donc sous quelles espèces nous apparaît, plus près de nous, un patriote, très véritable et très sincère, de 1825 ou 1828 ? Il n’est point philosophe, point homme d’analyse, de réflexion, d’examen. Il est du reste bon citoyen, et ne désire point trop le renversement de Charles X ; mais il est amoureux de la révolution, ou enthousiaste de Napoléon Ier. Son amour pour son pays s’est arrêté et précisé dans l’admiration passionnée d’une grande chose que son pays a faite, ou d’un grand homme qui a dirigé son pays. Tout de même, depuis Henri IV, c’est la France que les Français aimaient dans leurs rois. Les penseurs du XVIIIe siècle ont un trait commun : ils oublient l’idée de patrie. Le XVIIIe siècle est le siècle de l’humanité. Si leurs élèves, en 1789, ont si facilement fait abstraction de toutes les traditions séculaires, et ont prétendu recommencer l’histoire au lieu de la continuer, c’est que l’idée de patrie avait presque disparu. Les droits de l’homme et de l’humanité ont été leur premier mot. — L’idée de patrie a reparu très vite ! — Sans doute, parce que rien ne réveille le patriotisme comme l’invasion. Le patriotisme moderne date de 1702, et, une fois ressuscité, il n’a pas tardé à reprendre, très naturellement, son ancienne forme, et s’est attaché à Napoléon comme à la personnification de la France vengée et glorieuse. Mais, en 1780, il est comme confus dans les cœurs, offusqué par les théories philanthropiques et les doctrines individualistes, qui sont des contraires très faciles à associer. Il existe ; mais c’est l’avenir, c’est ce qui va naitre qu’il caresse ; il s’attache à une espérance, preuve précisément qu’il n’est pas très énergique ; car le patriotisme est comme le sens de la continuité de la personne nationale, et la faculté de l’embrasser et de la chérir en son passé, en son présent, en son avenir, en son éternité.

Voilà, — et l’on en trouverait d’autres, — les études que j’aimerais à rencontrer dans un historien moraliste écrivant sur la révolution française, et je regrette que Mme de Staël, qui y aurait