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combiné avec le maintien de la classe dirigeante, eût donné à la France ce qu’elle n’a jamais eu, une aristocratie ouverte et prudemment renouvelée. Ils ont voulu la liberté absolue des cultes, ce qui conduisait nécessairement, en un temps donné, à l’absolue liberté de la pensée. Ils ont eu un sentiment très rare chez les gouvernans, ils ont eu confiance en l’esprit humain, ce qui est une idée généreuse, et peut-être juste.

Même leur chimère d’égalité avait son côté heureux. En disant aux hommes : vous êtes tous égaux, on développe en eux les pires passions et les meilleures ; on fait beaucoup de déclassés et quelques hommes nouveaux supérieurs, et c’est une question qui reste au moins pendante de savoir si un génie utile qui a pu naître ne compense pas une foule de non-valeurs créées du même coup. — Leur rêve de liberté ne laisse pas d’être fécond. Les suites véritables n’en ont point paru tout d’abord. Il mène peu à peu à un état social très dur, nullement patriarcal, et le contraire même, où le citoyen est d’autant plus responsable qu’il est plus libre, où l’on ne prévient pas la faute à faire, où l’on punit la faute faite, où l’homme n’a point sa tâche assignée et tracée sa voie, mais agit à ses risques et périls, doit savoir ce qu’il a à faire et est tenu d’être intelligent. Cela est pour briser beaucoup de faibles et d’étourdis, pour décupler l’énergie des énergiques. Il semble que cela ait été inventé par des hommes forts, et pour leurs semblables. C’est l’individualisme encore, sollicité dans ses puissances, comme, par ailleurs, il est respecté dans ses droits. — Et, en dernière analyse, c’est bien pour cela que Mme de Staël aime ce système, et que dans toute cette révolution de faits et d’idées, c’est encore la liberté qu’elle voit presque constamment, qu’elle appelle, qu’elle chérit, qu’elle salue, qu’elle chante aux dernières pages de son livre dans une conclusion qui est un hymne. C’est là qu’elle se retrouve tout entière, dans la sphère de sentimens et de pensées qui lui sont chers, avec sa personnalité vigoureuse, son besoin d’expansion énergique, sa confiance en soi, et sa confiance en l’homme, à cause de sa confiance en soi ; son optimisme en un mot, sa conviction que l’homme est grand, qu’il est digne et qu’il est capable d’être libre, parce qu’il est fort.


VI

On voit assez qu’il n’est question philosophique, littéraire ou politique que Mme de Staël n’ait étudiée, sentie et renouvelée. Elle a peu conclu. L’impression générale qu’on a eu la quittant ne prend point, en notre esprit, la forme et le dessin d’un système. Mais elle