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reprises de mousqueterie ont répondu aux deux reprises du psaume, enfin quand « ils ne chantent plus, » le vieux serviteur et ses maîtres se relèvent et chantent à leur tour. On sait l’ascension de ce trio prodigieux. Trois fois sur l’aile des harpes monte le vieux choral huguenot, et chaque fois d’une envolée plus haute. Haché de cris, de blasphèmes, il reparait par lambeaux, et les trois mourans trouvent pour le ressaisir des élans inouïs.

Bach eût-il jamais pensé que l’art religieux connaîtrait un jour de pareilles ardeurs, de pareilles extases, et que la musique sacrée irait à ces saintes folies !


V

Les vieux maîtres s’étonneraient davantage encore et s’effaroucheraient peut-être un peu d’un oratorio tout à fait contemporain : Marie-Magdeleine. L’œuvre de M. Massenet, nous dirions volontiers son chef-d’œuvre, diffère plus qu’aucun autre, plus que le Déluge de M. Saint-Saëns, plus que Rédemption ou Mors et Vita de Gounod, des modèles classiques. Elle est originale, moderne entre toutes et par là mérite de nous arrêter. Tout en elle décèle l’esprit nouveau. La forme n’est plus d’un oratorio, mais d’un drame sacré, et si le public français avait au même degré que le public allemand l’amour des choses de l’art et le respect des choses de Dieu, la représentation de Marie-Magdeleine serait possible comme celle de la Passion à Oberammergau, celle de Parsifal à Bayreuth. Le dernier ouvrage de Wagner est moins un opéra qu’un mystère : il met au théâtre des scènes presque évangéliques, des personnages presque divins, et là-bas des tableaux tels qu’un repas commémoratif de la Cène ou l’onction de Jésus par Madeleine édifient, au lieu de la scandaliser, la foule sérieuse et recueillie.

Le choix seul du sujet de Marie-Magdeleine est significatif. Autrefois, on chantait les héros et les guerriers, Samson ou Macchabée, les dogmes ou les hauts faits d’Israël ; ce qui nous attire aujourd’hui, c’est une figure de femme ; c’est la rencontre et le commerce affectueux d’une pécheresse et de Jésus. Même chez les plus fidèles, la foi s’est transformée ; elle croit, plus que jadis, par les raisons du cœur. Et quant à ceux qui ne croient plus, on l’a finement remarqué, la religion de Jésus continue pourtant de leur inspirer une tendresse incurable : « Nous sentons dans l’Évangile, « dit M. Lemaître[1], je ne sais quel trouble profond, mystique et

  1. Les Contemporains, 2e série, étude sur M. A. France.