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« immolé son ressentiment » qu’aux raisons de M. de Choiseul : « Mademoiselle, nous sommes, vous et moi, chacun sur un théâtre : ., on me critique,.. et cependant je ne donne point ma démission… D’ailleurs, la reine ayant fait grâce, vous pouvez, sans compromettre votre dignité, imiter la clémence de Sa Majesté. » Survient cette piteuse affaire de Dubois et de Blainville. Dubois, de la Comédie-Française, pour s’acquitter envers un chirurgien, jure au tribunal qu’il l’a payé ; son camarade Blainville jure qu’il fut témoin du paiement. Le procureur du chirurgien objecte alors que le serment de ces gens-là ne peut être reçu en justice. Toute la Comédie prend fait et cause pour les deux offensés ; il se trouve ensuite que tous deux ont menti. L’emportement de la Comédie n’était pas moins légitime : pourquoi le parjure, le faux témoignage d’un acteur ne serait-il pas entendu comme, à l’occasion, celui d’un chirurgien ? La Comédie, d’ailleurs, se hâte de payer la dette du coupable : en quoi on ne peut soutenir non plus qu’elle ait tort. En fin de compte, elle résout d’exclure de sa compagnie les deux complices : une telle délicatesse est-elle un crime ? — Oui, apparemment, car ce Dubois a une fille, cette fille est aimable, et les gentilshommes de la chambre sont des hommes. Notez que tout le public est de leur bord, contre Molé, Brizard et Clairon. Ce n’est pas le Siège de Calais avec Bellecour, ce n’est pas le Joueur, c’est le Siège de Calais avec Dubois, que toute la salle réclame : « La Clairon à l’Hôpital ! Au cachot tous ces coquins ! » Oui, ces coquins !… Ne refusent-ils pas de jouer avec des fripons ? La Clairon se prétend malade : eh bien, à l’Hôpital ! On a rendu l’argent : c’est un scandale, un outrage au sens commun ! Sur cette échauffourée, Collé dit le dernier mot, sans ironie : « Si la garde royale avait fait son devoir, il y eût en beaucoup de sang répandu… Et pourquoi ? Parce que Mlle Clairon, enivrée d’orgueil et de vanité, veut que les comédiens aient un honneur… » Le dernier mot ? non pas : la parole est à MM. les gentilshommes. Et voilà les comédiens au For-l’Évêque !

Sans doute ils se consolèrent du procédé par leur façon de s’en plaindre, avec un peu d’apparat. Clairon demandait à des officiers s’ils ne quitteraient pas le service, plutôt que de servir avec un voleur… Mais quoi ! au théâtre, le soir de la bagarre, un jeune colonel s’était écrié : « Oh ! que n’ai-je mon régiment ici ! » Clairon, relâchée après cinq jours sur la requête de son médecin, prisonnière chez elle, et recevant cinq personnes, — dont une amie, Mme l’Intendante de Paris, et deux amans, un Français agréable et un Russe utile, — Clairon mandait à l’enviable Garrick : « Mon âme à jamais pénétrée d’un traitement aussi barbare qu’injuste, etc… Mon courage est encore au-dessus de mes maux… » Comment la railler ? Voltaire, à ce moment même, la sommait de profiter de l’aventure pour faire accorder la