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voulait abandonner un allié qui lui manquait si essentiellement. » Le propos a été tenu devant le ministre de Saxe, qui n’a pas perdu un moment pour venir le répéter à la légation de France. Même changement dans l’attitude de la cour, des ministres et de l’électeur de Bavière lui-même, naturellement flatté de l’espoir d’une réconciliation possible entre ses nouveaux et ses anciens protecteurs. Chavigny signale en particulier une dame de la cour de l’impératrice douairière, élevée à Vienne avec Marie-Thérèse et restée en relations familières avec son amie d’enfance, et qui se mit à prôner, avec une extrême vivacité, le projet de la nouvelle alliance. Il est vrai qu’elle paraissait s’y être préparée auparavant, puisqu’elle s’était mise en coquetterie réglée avec Chavigny lui-même, cherchant, dit celui-ci, à escamoter ma connaissance[1].

Chavigny, comme nous le connaissons, était trop avisé pour croire que de telles paroles, venant de tels auteurs, fussent dites en l’air, — trop désireux de prendre par un succès diplomatique sa revanche de tout ce qu’il avait souffert pour les laisser tomber, — mais trop prudent cependant pour les relever sans précaution ; aussi demanda-t-il qu’on voulût bien s’expliquer plus nettement et lui faire savoir s’il était oui ou non chargé de porter ces ouvertures à Versailles. La reine, lui fit-on répondre, allait passer en personne à Passau, sur la frontière de Bavière, en se rendant à Francfort : elle y avait mandé son ministre, qui se ferait accompagner de l’envoyé saxon ; à leur retour, les deux voyageurs auraient sans doute quelque chose à lui dire. Effectivement, l’excursion accomplie, une note lui fut remise de la part de la reine elle-même, conçue dans un esprit très pacifique, mais en termes pourtant peu significatifs, car elle déclarait seulement qu’elle était prête à traiter de concert avec ses alliés et à écouter les propositions de la France.

Ce n’était rien dire et même c’était renverser les rôles : elle paraissait accepter et non offrir elle-même la proposition d’entrer en pourparlers ; mais un commentaire suivit, tout à fait différent du texte. L’envoyé de Saxe, obligé à moins de réserve que son collègue, ne fit pas difficulté de raconter comment s’était passée l’entrevue de Passau. A peine arrivée, la reine avait fait monter le comte Chotek dans sa voiture et l’avait entretenu en tête-à-tête pendant toute la durée de la route de Passau jusqu’à Ratisbonne. Là elle s’était montrée non-seulement désireuse, mais pressée de faire affaire avec la France ; elle n’avait plus, disait-elle, rien de personnel contre la France, et la France n’avait rien à craindre d’elle. « Elle laissa

  1. Chavigny à d’Argenson, 13 et 15 septembre 1745. (Correspondance de Bavière. — Ministère des affaires étrangères.)