Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/509

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le croire est le vrai moyen qu’il soit ainsi. » — Pourtant, quand il eut en main la copie du texte même de la convention remise par Brühl à Vaulgrenant, et accompagnée de l’offre formelle d’entamer une négociation avec Vienne, il fallut bien se décider à ouvrir les yeux, à réfléchir et à consulter[1].

Sa contrariété fut extrême : ce n’était pas seulement le déplaisir qu’un homme éprouve toujours à s’être trompé, ni la petite humiliation qu’il y a pour un ministre à recevoir la preuve de l’exactitude des avertissemens donnés par ses agens et qu’il a refusé d’écouter ; ce n’était pas seulement non plus la peine que l’ami de Voltaire devait ressentir à prendre en faute le héros, objet depuis tant d’années de son admiration et de sa confiance. Il avait en outre, à ce moment même, un motif spécial pour ne se prêter qu’avec répugnance à la pensée d’une négociation particulière, engagée en secret avec une seule des puissances belligérantes ; car il venait de faire une démarche à peu près publique d’un tout autre caractère. Il voulait donner suite au dessein généreux qu’il avait conçu après Fontenoy, de concert avec son doux ami, Van Hoey, et qui consistait à provoquer la réunion d’un congrès où seraient appelés les représentans de toutes les puissances afin d’y débattre les conditions de la paix générale. Le siège de ce congrès devant, suivant lui, être une des villes des Provinces-Unies, le chargé d’affaires, La Ville, avait reçu ordre exprès d’en faire de nouveau la proposition aux états-généraux, en laissant même entrevoir qu’un armistice pourrait être stipulé pendant toute la durée du congrès, pour laisser la diplomatie faire plus à l’aise son œuvre pacifique.

L’habile chargé d’affaires avait accueilli l’instruction d’assez mauvaise grâce, trouvant non sans motif que c’était un jour singulièrement choisi pour offrir un désarmement aux Provinces-Unies, que celui où les Anglais étaient obligés de les abandonner, et où Maurice de Saxe frappait déjà à coups de canon à leur porte. Il ne fallait donc plus qu’un dernier acte de vigueur pour emporter de haute lutte la soumission complète de la république. Choisir ce moment pour proposer un armistice, c’était un excès de générosité qui ne serait, pensait-il, pas compris et tout simplement taxé de faiblesse. — « Les principes sur lesquels cette proposition est faite, monseigneur, écrivait-il, ne devraient qu’exciter admiration, zèle et reconnaissance, surtout chez des républicains ; mais l’aveuglement et la haine ne connaissent guère les sentimens de la justice et de l’humanité. La proposition d’un congrès général est déjà regardée ici comme une marque de faiblesse de la part de la France : quelle qualification ne donnerait-on

  1. Note de d’Argenson sur la dépêche de Chavigny, du 15 septembre 1745.