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titre. User de la liberté que nous rendait le roi de Prusse, en reconnaissant une élection qu’en réalité on ne savait trop comment contester, n’était-ce pas une bonne fortune, un tour bien joué, et par là même une occasion de se débarrasser une fois pour toutes de cette importune affaire d’Allemagne ? C’était le conseil que donnaient unanimement les agens français encore présens à Francfort. Tout meurtris de leur échec, mais plus irrités encore d’être abandonnés par leurs compagnons d’infortune, les agens prussiens, ils étaient heureux de retrouver un moyen de remettre les rieurs de leur côté. — « La reconnaissance immédiate de l’empereur serait une démarche, écrivaient Saint-Severin et Blondel, qui étonnerait l’Europe, désarmerait l’empire, déconcerterait l’Angleterre ; il n’y a rien d’autre à faire dans l’état de frénésie qui règne autour de nous. » L’entraînement fut assez fort pour déterminer les conversions les plus inattendues. Aucune cependant ne dut être plus imprévue que celle de Belle-Isle lui-même, qui était sorti de captivité plus Prussien que jamais, et, dès son retour, avait été assurer Chambrier que ses sentimens pour Frédéric étaient invariables, et que l’union de la France et de la Prusse était l’évangile dont il ne se départirait jamais. Mais quand les relations qu’il avait laissées en Angleterre lui apprirent qu’on s’y entretenait couramment du nouveau traité consenti par Frédéric, il semble que le sang lui monta au visage et que les écailles lui tombèrent des yeux ; car de cette écriture précipitée et cavalière, que ne peuvent méconnaître ceux qui l’ont une fois rencontrée, on trouve à la date du 25 septembre la note suivante : « Si la reine de Hongrie est encore libre, elle acceptera avec empressement de se réconcilier par préférence avec le roi, lorsqu’on lui abandonnera le roi de Prusse. Quelque éloignement que la cour de Vienne et en particulier le grand-duc aient pour la France, je crois que la haine pour le roi de Prusse est encore supérieure : rien ne peut équivaloir le recouvrement de la Silésie pour la maison d’Autriche ; .. tout consiste donc à constater l’infidélité du roi de Prusse pour autoriser le roi à le prévenir. C’est à quoi on ne peut travailler avec trop de vivacité et de secret[1]. »

  1. Chambrier à Frédéric, 17 septembre 1745 ; — Saint-Severin et Blondel à d’Argenson, 15 septembre. — Note autographe de Belle-Isle, 25 septembre. — (Correspondance d’Allemagne. — Ministère des affaires étrangères.) — Dans la correspondance d’Angleterre, on trouve aussi, à la date du 6 octobre, une lettre de Belle-Isle adressée à d’Argenson ; et lui rapportant les nouvelles qui lui arrivèrent d’Angleterre au sujet de la convention de Hanovre, il dit : « J’espère que vous avez su prendre les devans ; jamais votre ministère n’aura eu une occasion si décisive et si importante : il ne s’agit que d’avoir des preuves, et cela doit être facile. » — D’Argenson met en note : Il est d’avis de saisir le moment. »