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Il était temps, en effet, de se retirer, si l’on ne voulait pas être bloqué dans Chlum ; car les Autrichiens avaient si bien fait le cercle autour de lui que, pour opérer cette marche rétrograde, il ne lui restait plus qu’un étroit passage dans le petit triangle formé par l’Elbe et un de ses affluens, à travers une contrée de difficile accès, couverte d’une forêt épaisse, et coupée par de nombreux accidens de terrain. Les premières étapes furent franchies pourtant sans difficulté, parce qu’on venait au même moment d’apprendre dans le camp autrichien l’élection de Francfort. Tout s’y était mis en liesse et l’on ne songeait qu’à se livrer à de bruyantes démonstrations de joie ; mais le 30 septembre, au matin, comme l’armée prussienne qui avait campé autour de la bourgade de Staudentz allait se mettre en marche, on vint avertir Frédéric qu’on apercevait à l’horizon une longue ligne de cavalerie et que, par l’étendue de la poussière, il y avait lieu de penser que ce devait être toute l’armée ennemie. C’était le fait : Charles de Lorraine s’était enfin mis en mouvement avec toutes ses forces. Il comptait attaquer l’armée prussienne sur ses derrières, tandis qu’elle trouverait sur ses flancs et en face les hussards et les Pandours, bourdonnant comme des guêpes et profitant pour le harceler et retarder sa marche de tous les plis de terrain ; on aurait ainsi, pensait le prince, le temps de la rejoindre, de l’envelopper par le nombre, et de la livrer sans défense possible à une perte certaine.

Ce plan était très bien combiné, et Frédéric y rend justice dans ses mémoires. Il est probable que, si son coup d’œil pénétrant n’eût pas à l’instant deviné le dessein de son adversaire, — s’il se fut borné, comme tout autre l’aurait fait, à presser le pas pour échapper à la poursuite, — il fût tombé dans le piège. Une résolution, d’une extrême audace, le tira de péril. Il faut vraiment se donner le plaisir de la lui laisser raconter lui-même.

« Il était, dit-il, aussi téméraire pour moi de me retirer devant l’armée autrichienne par des passages étroits que de la combattre. Vu la supériorité de son nombre, le prince de Lorraine s’était flatté que je choisirais le parti de la retraite ; c’est sur quoi il avait compté et sur quoi sa disposition était faite. Il voulait engager avec moi une affaire d’arrière-garde, dans laquelle il était sûr que mon armée aurait péri. Je considérais le danger des différens partis que j’avais à prendre ; mais comme il n’y avait pas de temps à perdre en réflexions inutiles, sans balancer plus longtemps, je résolus d’attaquer les Autrichiens, malgré le nombre et malgré le poste avantageux qu’ils occupaient, aimant mieux être écrasé les armes à la main que de céder le terrain dans un moment critique, qui aurait fait dégénérer ma retraite en une fuite ignominieuse. « Il est toujours dangereux de manœuvrer en présence d’un