Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/521

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


IV

Là, si ce n’était pas la victoire, c’était une marche pacifique qui n’en ressemblait pas moins à un triomphe. Plus la princesse approchait de la ville impériale, plus l’accueil était enthousiaste et l’élan des cœurs unanimes. On eût dit que c’était l’Allemagne entière qui, ressuscitée, unie et délivrée, faisait son apparition dans la personne de l’héroïque souveraine.

Avant d’entrer à Francfort, elle devait rejoindre son époux au camp où il était encore et passer avec lui la revue de ses troupes. Le rendez-vous était auprès d’Heidelberg, sur le territoire de l’électeur palatin, le seul du collège princier qui se fût uni à la Prusse pour faire défaut au moment du vote. Le jeune souverain avait exprimé très haut le désir qu’aucun de ses sujets ne prît part à une démonstration militaire faite par une armée qui occupait indûment ses états. Il ne fut pas écouté, et le jour de la revue il errait presque seul dans Manheim, la population en masse s’étant portée à Heidelberg. Nulle trace, dans cette foule empressée, ni des divisions religieuses, ni des rivalités locales : sujets des diverses principautés voisines, catholiques et protestans de toutes les communions, marchaient la main dans la main. « Le voisinage de la reine de Hongrie, écrit Tilly (le résident de France à Manheim), a augmenté la frénésie de tout le monde pour cette princesse, qui a passé elle-même toute son armée en revue, non pas à cheval et habillée à la hongroise comme on l’avait dit (les médecins s’y étaient opposés à cause de sa grossesse), mais dans une petite chaise découverte, le grand-duc à cheval à côté d’elle, lui nommant le nom des officiers et des régimens. Elle a dîné sous la tente, comblant de politesse tout le monde, faisant partout des présens considérables : on ne parle que de cette princesse. » Et, deux jours après, le même correspondant ajoute : « MM. d’Aix-la-Chapelle, craignant que l’électeur ne voulût pas laisser passer sur ses terres leurs vieilles reliques (la couronne de Charlemagne et les autres attributs de la souveraineté attendus à Francfort pour le sacre), les ont fait porter secrètement par les voitures publiques, et les députés les ont suivis aussi secrètement, ce qu’ils n’auraient jamais fait si indécemment si ce n’était pour le couronnement de cette princesse, qui est aujourd’hui l’idole de l’Allemagne[1]. »

Le 4 octobre, jour de Saint-François, était la date fixée pour la

  1. Tilly à d’Argenson, 27 septembre, 4 octobre 1745. (Correspondance de Manheim. — Ministère des affaires étrangères.)