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la Filleule, Adriani, Mont-Revêche, qui nous semblent particulièrement significatifs par la peinture très vive et très soignée des caractères, par la gracieuse variété des situations, par le mouvement de l’intrigue et surtout par le désintéressement très marqué de toute théorie sociale, le parti-pris de revenir à sa conception primitive du roman, pur de toute préoccupation étrangère[1].

Les bucoliques ne peuvent durer toujours. Elles avaient valu à Mme Sand un regain de succès et une popularité qui avait monté pendant quelque temps jusqu’au ton de l’enthousiasme ; on avait pu craindre un instant qu’elle ne s’attardât dans ces paysanneries qui l’avaient si heureusement affranchie de la haineuse politique. Aussi ce fut avec un grand plaisir qu’on la vit revenir à la véritable patrie du roman, la société tout entière, dans sa complexité infinie, aujourd’hui, mais pas pour longtemps, parmi les ouvriers de la Ville-Noire, hier dans le salon bourgeois et puritain des Obernay, avant-hier dans l’aristocratique boudoir de la vieille marquise de Villemer ou sur les montagnes de l’Auvergne.

Dans la longue série des œuvres qui couronnent d’une flamme vive encore, bien que par instans pâlissante, les derniers travaux de George Sand, deux surtout méritent de fixer l’attention et l’attendrissement de la postérité, Jean de la Roche et le Marquis de Villemer. Je viens de relire ces deux romans, et je suis retombé sous le charme d’autrefois. Je l’ai senti presque aussi vif et pénétrant. Combien y en a-t-il, parmi les œuvres de pure imagination, qui résistent à l’épreuve d’une seconde journée, quand elles ont perdu pour nous l’attrait de l’inconnu et cette première fleur de la nouveauté, souvent si fragile et si artificielle ?

Ces deux œuvres sont de la meilleure manière de George Sand, avec le progrès que l’expérience la plus délicate de la vie a pu apporter dans les conceptions primitives de son art, sans que l’âge ait refroidi l’inspiration. Le sujet de Jean de la Roche est peut-être le plus original et le plus simple. Il n’échappe pas à la poétique du genre, qui condamne tout roman à n’être, plus ou moins, que l’histoire d’un amour malheureux. Ce sera donc encore l’éternelle lutte de l’amour contre les obstacles qui l’entourent à chaque pas et le détournent de son but. Mais la nouveauté est ici dans la nature de

  1. Citons encore, mais sans nous arrêter, la Daniella, un roman très romanesque ; Narcisse, les Dames Vertes, l’Homme de neige, Constance Verrier, la Famille de Germandre, Valvèdre, la Ville-Noire, Tamaris (1862), Mademoiselle de La Quintinie (1863), la Confession d’une jeune fille (1864), Monsieur Sylvestre, le Dernier amour, Cadio (1867), Mademoiselle Merquem, Pierre qui roule, le Château de Pictordu, Flamarande, etc. ; puis les Légendes rustiques, Impressions et souvenirs. Autour de la table, les Contes d’une grand’mère, etc.