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le général publiait le résultat de ses recherches, les Américains venaient de donner aux Anglais une leçon qui appelait les méditations des hommes les plus infatués de la supériorité britannique. En 1830, la crainte d’une nouvelle guerre envahit le monde ; la période de 1830 à 1840 devint dès lors, dans toutes les branches de l’art militaire, dans la marine surtout, une période de progrès. Nous suivîmes d’abord d’assez loin, entraînés par l’exemple que nous avions constamment sous les yeux, nos alliés, qu’une vieille habitude nous faisait encore appeler nos rivaux ; puis tout à coup nous les dépassâmes. Nous dûmes cet invraisemblable avantage, ce succès de sur- prise, à un homme : à l’amiral Lalande. Ame de feu dans un corps chétif, l’amiral Lalande nous rappela ce que nous semblions, — si étrange que l’aberration paraisse, — toujours prêts à oublier : l’importance d’un tir exact et rapide. Il remit les exercices d’artillerie en honneur, se fabriqua des hausses, acheta de la poudre, au lieu de peinture, sur « les fonds du détail et sur les économies de légumes verts, » réussit, en un mot, à inspirer à ses canonniers une confiance à laquelle il n’a manqué que l’occasion pour imposer à jamais silence aux sceptiques.

Des sceptiques! il y en eut longtemps; il en existe peut-être encore. Quand on prend l’histoire pour base de son raisonnement, il importe, — la chose est évidente, — que l’histoire ne soit pas défigurée. Pourquoi avions-nous été vaincus? Toute la question était là. « Parce que nous tirions mal, » disaient les uns; « parce que nos gabiers ne valaient rien, » prétendaient les autres. La promptitude avec laquelle les Anglais savaient, dans l’intervalle de deux engagemens, réparer leurs avaries, nous avait, en mainte occasion, ravi la victoire. Les Anglais revenaient à la charge voiles hautes ; ils nous retrouvaient démâtés. Toute une école partait de cet argument. Elle entendait qu’on fît passer le matelotage avant le canon. Notre inscription maritime nous fournissait sans doute quelques fins matelots, les meilleurs matelots du monde, au dire des Américains, qui nous les empruntaient souvent. Seulement, de ces fins matelots formés par la navigation au long cours, nous n’en possédions guère. Nos rivaux pouvaient, avec une satisfaction secrète, dire de cette élite ce que nous disions nous-mêmes, en Espagne et en Portugal, de leur solide infanterie : « Heureusement, il n’y en a pas beaucoup. » Tel est le sérieux motif qui nous fit, durant de longues années d’escadres, attribuer aux exercices de manœuvres un rôle prépondérant. Changer les vergues et les mâts de hune, enverguer et déverguer les voiles, occupait presque exclusivement nos loisirs. L’amiral Lalande ne négligea pas ce point intéressant; il ne lui subordonna pas le reste. Son ambition portait haut : il aspirait ouvertement