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à disputer aux Anglais, non pas dans la guerre de course, mais dans la grande guerre, dans la guerre d’escadre, une suprématie séculaire. Je doute, en vérité, qu’il y fût parvenu : on n’en doit pas moins lui savoir un gré infini d’avoir ouvert son âme à de telles espérances. Notre marine reçut des fiévreux exercices de 1840 une impulsion dont les heureux effets se font sentir encore.

La guerre de course! L’amiral Lalande l’avait pratiquée, vers la fin de l’empire, sous d’excellens maîtres. Il n’en était pas resté partisan : j’en ai gardé, de ses enseignemens, le dégoût. Maintes fois, dans notre détresse navale, nous y avons eu recours : sous Louis XIV, après la bataille de la Hougue, sous la république, après la funeste journée du 13 prairial et le combat plus désastreux encore de l’île de Groix. Nous prîmes alors des vaisseaux marchands par centaines; nous perdîmes peu à peu nos derniers vaisseaux de guerre. Nous n’arrivâmes pas à ruiner l’Angleterre : nous désarmâmes la France pour des siècles. Du 1er février 1793 à la fin de l’année 1795, nos croiseurs enlevèrent plus de 2,000 navires de commerce aux Anglais. Cette période nous apparaît-elle comme une période prospère? Jamais la misère ne fut plus grande en France, le dénûment plus complet dans nos arsenaux. Les pontons britanniques regorgeaient de prisonniers, et ce fut de notre impuissance cruellement démontrée que jaillit la première idée d’une descente en Irlande ou en Angleterre. A la reprise des hostilités en 1803, nous expédiâmes un vaisseau et quelques frégates dans l’Inde. Le dommage qu’en éprouva la grande compagnie qui s’était assuré le monopole du trafic de l’extrême Orient nous fit un instant illusion. Il suffit aux Anglais de rassembler 23,000 soldats et de les débarquer sur les côtes de l’Ile-de-France pour anéantir en quelques jours cette terrible marine de course à laquelle, sa vitesse l’eût-elle soustraite au désastre, auraient désormais manqué des refuges et une base d’opérations.

Le respect de la propriété privée sur mer, respect qui aujourd’hui, avec les nouveaux moyens de destruction, s’impose, est destiné, je n’en disconviens pas, à profiter aux faibles bien plus encore qu’aux forts : les forts cependant ne pourront pas, en dépit de leurs répugnances, s’y refuser. Tout s’enchaîne. A quoi bon neutraliser les canaux de Suez et de Panama, s’il est permis d’en interdire l’entrée et la sortie aux navires de commerce ? Laissez le champ de bataille à ceux qui font métier de se battre; ne demandez aux autres que de s’interdire, sous peine de se voir traités en pirates, le transport de la contrebande de guerre. Il y aurait, d’ailleurs, un moyen bien plus simple encore de résoudre la question. Je parlais tout à l’heure de la nécessité de neutraliser le canal de Suez, de