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sous l’ancienne monarchie, — la tradition s’est perpétuée jusque sous le premier empire ; — C’était, si je puis m’exprimer ainsi, la naïve bonhomie de l’enseignement. Le professorat y respirait l’amour de l’élève. Aussi quels hommes nous ont formés les RolIin, les Bezout, les Monge! A mon entrée à l’école navale, j’ai rencontré un de ces maîtres, tout à la fois profonds, sincères et bénévoles : il eût fait pénétrer les mathématiques dans une cervelle de marbre. Et c’était, en effet, à de dures cervelles, à des cervelles de matelots, que, vieux professeur d’hydrographie, il consacra, durant plus d’un quart de siècle, ses leçons. Nous ne le possédâmes que pendant quelques mois. Le bon père Rochat emporta dans la tombe son secret.

L’aspirant de première classe Roussin fut embarqué du 17 août au 7 décembre 1801 sur le bateau-canonnier n° 11. Ce bateau-canonnier faisait partie de la première division de la flottille de la Manche, réunie sous les ordres du contre-amiral La Touche-Tréville. Du 8 décembre 1801 au 25 février 1802, un autre bateau-canonnier, le n° 12, eut l’honneur d’avoir pour capitaine le futur amiral de France. Le 4 août 1802, c’est sur la corvette la Torche, commandée par le capitaine Déhen, que Roussin embarque sa fortune naissante. Il commande le quart, obtient de nombreux témoignages de satisfaction, et est enfin promu enseigne de vaisseau le 1er avril 1803. Le voilà enfin officier! à vingt-deux ans! ce n’est pas trop tôt. A cet âge-là, dans l’armée, on était général. Mais qui sait si Roussin eût voulu échanger son modeste grade pour des honneurs qui l’auraient éloigné de la mer? Embarqué, peu de temps après sa promotion, sur la Sémillante, le monde entier n’était pas trop grand pour lui. Il allait voir l’Inde ! Tous les touristes de nos jours connaissent l’Inde et la Chine; ce n’est plus la peine, en vérité, d’être marin. Au temps où Roussin vivait, la passion des voyages, l’amour de l’inconnu ne se satisfaisaient pas aussi aisément. Ce fut avec un transport de joie que l’enseigne de vaisseau de la Torche apprit qu’il était appelé à servir sur un bâtiment destiné aux expéditions lointaines et sous les ordres d’un capitaine dont la réputation était déjà faite dans la marine.

Le capitaine Motard n’avait pas eu l’éducation complète et variée du lieutenant Baudin. Je doute qu’il ait jamais appris le latin et le grec. Il était cependant au nombre des jeunes gens notoirement favorisés par le sort. Le ciel lui accorda la singulière faveur de faire son apprentissage sous une tutelle amie. Il lui aplanit les premiers pas. Son père, mort à Honfleur le 24 juillet 1793, capitaine de vaisseau du 1er janvier 1792, fut du nombre de ces « officiers bleus, » parmi lesquels la Convention, après la proscription ou la dispersion du « grand corps, » recruta sa marine. François-Paul-Pierre