Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/616

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la protection de trois vaisseaux de guerre? « J’ai cru reconnaître, déclarait le lendemain le capitaine Motard, interrogé par l’amiral Linois, que, parmi les vaisseaux anglais, quatre étaient armés de leurs deux batteries et portaient soixante canons; qu’ils avaient des équipages assez nombreux et que tous avaient leurs batteries hautes. » O imagination, quels tours tu nous joues!

L’erreur du capitaine de la Sémillante fut, j’ai lieu de le croire, l’erreur de l’armée entière. L’amiral Linois, en tout cas, ne mit pas un instant en doute qu’il n’eût devant lui : une flotte marchande de force à se défendre au besoin par elle-même et une division d’escorte en mesure de prendre, si les circonstances s’y prêtaient, l’offensive. Dans ces conditions périlleuses, il n’en résolut pas moins d’engager le combat. La marche supérieure de son escadre lui donnait la confiance de pouvoir, au cas où il serait serré de trop près, se soustraire à temps aux manœuvres par lesquelles l’ennemi tenterait de l’envelopper. A sept heures du matin, la flotte anglaise restait sous le vent de notre escadre, à une lieue et demie environ. Le vent était encore très faible de la partie du nord-nord-ouest, la mer belle. L’intention de l’amiral Linois était de n’attaquer qu’avec une brise décidée. A sept heures quarante minutes, le vent fraîchit un peu : le Marengo laisse arriver sur la flotte du commodore Dance ; il est suivi par la Sémillante et par la Belle-Poule, le Berceau et l’Aventurier se tiennent au vent à petite distance.

Midi sonne. C’est l’heure habituelle des combats: les vaisseaux de queue de la ligne ennemie seront bientôt à portée de canon. Six vaisseaux du centre, portant cacatois et bonnettes de perroquet, accourent à l’aide de l’arrière-garde menacée. Le commodore Dance leur a fait signal de virer vent devant par la contre-marche, d’arriver ensuite successivement en ligne de file et d’ouvrir le feu, dès qu’ils se trouveront par le travers d’un bâtiment français. Nulle gaucherie, nulle hésitation ne se trahissent dans l’exécution de cette manœuvre. Des vaisseaux de guerre ne montreraient pas plus d’aplomb. « L’ennemi, observe le capitaine Motard, paraît vouloir nous mettre entre deux feux. » Telle est dans la division française l’impression générale.

Pour répondre à l’évolution prescrite par le commodore Dance, Linois, à midi quinze minutes, laisse arriver et prend les amures à bâbord. Il se trouve alors sous les mêmes amures que le Royal-George, le Gange, l’Earl-Camden monté par le commodore, le Warley et l’Alfred. Les deux divisions courent parallèlement et courent toutes deux grand largue. « En ce moment, écrit le commandant Motard, le Marengo a commencé l’attaque. Dix-sept vaisseaux avaient viré sur nous; six nous combattaient à grande distance. A une heure, le Marengo est venu sur bâbord en augmentant de voiles et nous a