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jusqu’à Manille, les vents furent presque toujours contraires, le temps orageux, les grains très forts et accompagnés de torrens de pluie. On aperçut enfin la côte de Luçon le 29 mai. Le 30, la Sémillante mouillait sur la rade de Manille.

Après cinquante-deux jours de relâche, le 21 juillet 1805, le commandant Motard dut enfin songer à reprendre la route de l’Ile-de-France. C’est ici que la Bayonnaise, quarante-trois ans plus tard, retrouvera ses traces. La mousson était contraire pour redescendre la mer de Chine. Motard cédera-t-il aux instances du capitaine-général des Philippines? Ira-t-il chercher au Mexique les fonds dont la colonie, désertée depuis deux ans par les galions d’Acapulco, éprouve un urgent besoin? Motard se refuse à contracter sur ce point un engagement formel : il prendra conseil des vents, des courans, des circonstances. Un pilote espagnol le conduit à travers un labyrinthe d’îles, bien mal connues encore, jusqu’à l’entrée du détroit de San-Bernardino. Le 28 juillet. Motard essaie de franchir ce détroit. Après deux ou trois tentatives infructueuses, il y renonce. Le moment n’est pas encore venu où la mousson du sud-ouest refoulera les vents alisés. Ce moment se fait souvent attendre plus longtemps qu’on vous l’a promis. J’en sais, par ma propre expérience, quelque chose. Motard se laisse encore une fois guider par son pilote au mouillage de San-Jacinto, rade peu profonde, semée de bancs de coraux, ouverte à la pointe septentrionale de l’étroite et longue île de Ticao.

La déclaration de guerre par laquelle l’Espagne, justement irritée, répondit à l’acte de piraterie dont le général Decaen avait si bien prévu les conséquences, ne pouvait manquer d’attirer dans les eaux des Philippines des forces anglaises. Les exploits de sir Francis Drake, de Cavendish, de l’amiral Anson, n’étaient point oubliés à bord des bâtimens de sa majesté britannique. Depuis la rupture de la paix d’Amiens, les équipages se fatiguaient à poursuivre des vaisseaux, des frégates, des corsaires : c’étaient des chargemens de galions que se partageaient jadis les marins anglais. Ce beau temps n’allait-il pas revenir? Avec la France, il n’y avait rien à gagner : le commerce français n’existait plus. La guerre avec l’Espagne fut donc accueillie par les marins anglais comme une joyeuse aubaine. Motard ne mit pas un instant en doute que, si son séjour se prolongeait dans ces trap séduisans parages, il n’y fût promptement découvert et assailli.

« Le mouillage de San-Jacinto, observe l’amiral Decrès, n’offrait aucune protection en cas d’attaque. Trois mauvaises pièces de 12 placées sur une pointe de terre près de l’église, deux pièces de 8 au sommet d’une tour, vingt fusils, dont aucun ne pouvait tirer.