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voilà quelle était toute la défense de ce poste. Il n’y avait d’ailleurs point de munitions. » Le capitaine Motard fait porter à terre des boulets, des gargousses, charge son armurier du soin de remettre les vingt fusils en état, et garnit de vigies les points les plus élevés de la baie.

Le 2 août, à une heure de l’après-midi, on vient lui annoncer que deux gros bâtimens sont en vue et paraissent se diriger vers le port de San-Jacinto. Bientôt ces bâtimens sont aperçus du pont de la Sémillante. L’un est une frégate de quarante-quatre bouches à feu, portant du 18 dans sa batterie ; l’autre un brick armé de vingt caronades du calibre de 32. On sut plus tard par les gazettes anglaises que la frégate, commandée par le capitaine John Wood, se nommait le Phaëton; le brick avait pour capitaine le commander Edward Ratsey et figurait sur les listes de l’amirauté sous le nom de l’Harrier. Une frégate de 32 canons, n’ayant à bord que des pièces de 12, ne pouvait évidemment prêter le côté à un ennemi aussi supérieur en force qu’à la condition de mettre à profit tous les avantages de la position. Le capitaine Motard appareille sur-le-champ en coupant ses câbles, élonge des ancres à jet et, jeté en travers par de folles brises, finit par aller s’échouer au fond de la baie. Sous les tropiques, le vent n’a pas d’haleine ou souffle en ouragan. Tout dans cette chaude nature est extrême. La situation de la Sémillante, après son échouage, laisse fort à désirer : l’arrière de la frégate, clouée sur le récif, demeure exposé au feu de l’ennemi : les deux pièces de retraite pourront seules servir. Motard envoie six hommes, sous le commandement d’un officier, armer la petite batterie de la pointe. Deux pièces de 12 et une pièce de 8 prendront ainsi part au combat.

Le brick anglais, cependant, a pris les devans : il éclaire la route. La frégate, à deux heures, arrive à portée de canon. Le feu s’ouvre. On est heureusement parvenu à faire pivoter la Sémillante sur son avant, échoué par quinze pieds d’eau. La Sémillante présente maintenant le côté de bâbord tout entier à l’ouvert de la baie. Sa quille n’en continue pas moins de toucher le fond : excellente condition pour une résistance acharnée. On pourra détruire, morceau par morceau, la Sémillante, on ne la coulera pas. Pendant plus de trois heures, des bordées s’échangent. La frégate française a ses manœuvres hachées ; elle reçoit 29 boulets en plein corps. Elle ne compte pourtant, — chiffre insignifiant pour un si long combat, — que à hommes tués et 11 blessés. Les pertes des Anglais, s’il en faut croire les rapports officiels, sont moins considérables encore. Le Phaëton et l’Harrier n’ont eu chacun que 2 blessés. Il faut peu de boulets pour faire de grands dégâts dans des murailles de bois.