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Le capitaine Motard, à l’issue du détroit, mit le cap au sud. Il longea ainsi, à 10 lieues environ de distance, les côtes de l’île Samar et celles de la grande île de Mindanao. Pour passer de l’Océan-Pacifique dans l’Océan-Indien, il eût inutilement cherché une autre voie que la mer des Célèbes et la mer des Moluques. Il se jeta résolument au milieu de ce labyrinthe. Les premières terres que la Sémillante reconnut furent les îlots de Palmas et de Meangis. Motard donna dans le canal qui sépare l’île Salibabo de l’île Sanguir, s’approcha de cette dernière île, y trouva un bon port et n’hésita pas à y jeter l’ancre. Une relâche de quatre-vingt-six heures à Sanguir exerça la plus salutaire influence sur la santé de l’équipage. Le peuple de Sanguir était doux, pacifique: les rafraîchissemens abondaient. La frégate reprit son pénible itinéraire dans des conditions inespérées.

A partir de Sanguir, une chaîne à peine interrompue d’îlots conduisit la Sémillante à la pointe nord-est de Célèbes. On chemine lentement à travers ces mers assoupies : mes compagnons de la Bayonnaise et moi nous ne l’avons pas encore oublié. A moins d’orages soudains, les vents, les (lots, la nature entière semblent appesantis par une invincible langueur. On finit par prendre en dégoût ces damned blue skies, ce firmament toujours bleu, cette mer toujours placide. On voudrait rencontrer une humeur moins égale, un caprice quelconque moins irritant que cette éternelle fadeur. Et les nuits lourdes et chaudes succédant à des jours de plomb, quel supplice ! En sortant de la mer de Célèbes, la Sémillante entra dans la mer des Moluques. Là, emportée par un courant constant plutôt que poussée par la brise toujours défaillante, elle se traîna de Ternate à Tidore, de Tidore à Motir, à Tawally, franchit le canal qui sépare l’île d’Oby de Xulla-Bessey et contourna la pointe occidentale de Bourou, pour aller reconnaître les îles Saint-Mathieu, à l’extrémité nord-est des écueils de Toucan-Bessey.

En suivant cette route à peu près inexplorée, la Sémillante devait éviter la rencontre des croisières qui surveillaient très probablement les abords d’Amboine et la mer de Banda. Une dernière barrière, une seule, la séparait encore de l’Océan-Indien. Mainte coupure s’ouvrait dans ce grand rideau : toutes étaient également inconnues an capitaine Motard ; il tenta le passage que lui indiquèrent les habitans d’Ombay. Le détroit d’Allor est compris entre Lomblen et Panthar, deux îles élevées, de forme conique, comme le sont celles de tout cet archipel plutonien que je ne saurais mieux comparer qu’au groupe des îles Lipari. Le capitaine Motard s’y engagea, sur la foi de ses vigies, et déboucha dans la mer de Timor. Les mers étroites étaient désormais derrière l’habile et heureux