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justice distributive et la même protection. Ils n’en apportaient pas pour cela moins d’ardeur à leur métier. La chasse, peu importe le gibier, a toujours un certain attrait. Les prises que nous faisions conduisaient cependant plus souvent nos pauvres matelots à la captivité qu’à la richesse. Introduire ce butin péniblement acquis dans les ports de l’Ile-de-France était devenu, par suite de la surveillance anglaise, presque impossible. On conduisait avec moins de danger les navires capturés à Bourbon, sur une de ces rades foraines dont nous avions essayé de faire des ports de refuge en y accumulant les batteries. Quelques cargaisons se vendaient à Bourbon même: la défaite en eût été bien autrement facile à l’Ile-de-France, où les bâtimens neutres avaient pris l’habitude de venir les chercher.

Le général Decaen supportait impatiemment la détresse dont souffrait en ce moment la colonie ; dès qu’il apprend par les rapports des vigies qu’il ne reste plus en croisière devant le Port-Louis qu’une frégate anglaise, il se promet de dégager la route et d’en écarter le seul obstacle qui arrête encore à Bourbon les bâtimens réfugiés sous le canon de la baie Saint-Paul. La Sémillante reçoit l’ordre de sortir et d’aller droit à la frégate le Pitt. Qu’elle lui fasse à tout prix vider les lieux! Un corsaire de trente-quatre canons, la Bellone, commandée par le capitaine Péroud, lui prêtera main-forte dans cette entreprise. Ce n’est pas trop de deux bâtimens pour racheter l’infériorité de calibre et d’épaisseur de coque.

Le 27 janvier 1806, à neuf heures du soir, les deux navires français quittent le Port-Louis. Une heure après, ils découvraient et chassaient le Pitt, qui se trouvait alors à quelques lieues du port. A onze heures trente minutes, le Pitt avait disparu. La Sémillante et la Bellone faisaient route pour l’île Bourbon ; le Pdf pour Pointe-de-Galles, un des ports de l’île Ceylan. L’expédition de la Sémillante eut ainsi un succès complet ; au bout de quelques jours, cette frégate, constamment favorisée par le sort, ramenait au Port-Louis plusieurs prises et plusieurs navires de commerce. L’abondance succédait à la pénurie, et la colonie renaissait.

Le 7 avril 1806, la Sémillante appareillait de nouveau. Deux corsaires, la Bellone et l’Henriette, l’accompagnaient. De toutes les croisières de l’heureuse frégate, celle-ci fut la plus fructueuse : huit navires de commerce, estimés à plus de 32 millions de francs, — Le prix de deux cuirassés de nos jours, — vinrent, le 9 septembre, mouiller, sous son escorte, dans la baie Saint-Paul. Les Anglais, il est vrai, avaient, par compensation, capturé la Bellone et l’Henriette. La fortune, hélas! ne leur ménageait que trop souvent de ces revanches. Nous aurions gagné, — c’est mon avis du moins, — à rester tranquillement dans nos ports. Les corsaires, je ne saurais