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que j’avais déjà rencontrés. Ils chassaient un trois-mâts français, trois-mâts qui se réfugiait à la Rivière-Noire. La volée de la frégate ennemie, excessivement mal dirigée, ne nous a causé aucune avarie. Tout a passé entre les mâts. Quelques coups seulement ont touché les voiles; un seul a passé dans le bastingage. »

Telle est la rencontre que nous appellerons, avec le bureau du personnel de la flotte, « le quatrième combat de la Sémillante. » William James nous en a donné la version anglaise. « Le 11 novembre 1806, dit-il, la Sémillante fut aperçue du haut des mâts de la Dédaigneuse, qui, sur-le-champ, lui donna la chasse sous toutes voiles. La brise était faible et variable. Vers minuit, les deux frégates se croisèrent, courant à contre-bord. Elles n’étaient pas alors à plus d’un demi-mille l’une de l’autre. La Dédaigneuse tira trois ou quatre coups de ses canons de chasse. En ce moment la frégate française battait la générale. La Dédaigneuse déchargea ses canons au fur et à mesure que les pièces pouvaient porter; puis, mettant sa barre sous le vent, elle essaya de virer vent devant pour suivre son adversaire. Il y avait si peu de vent qu’elle ne put y réussir. On mit un canot à la mer, afin de faciliter le mouvement. La Dédaigneuse parvint enfin à virer lof pour lof. Pendant ce temps, la Sémillante avait beaucoup accru sa distance. La Dédaigneuse la chassa sous toutes voiles, mais elle avait perdu plusieurs feuilles de cuivre de son doublage, sa carène était très sale : elle resta peu à peu en arrière. A cinq heures du soir, le capitaine Procter abandonna la chasse. Il diminua de voiles et serra le vent tribord amures. »

L’histoire ne peut plus être faite de légendes : les archives, de toutes parts ouvertes, nous ramènent à chaque instant, malgré nous, dans le domaine de la réalité. Notre amour-propre national n’y perdra rien, si nous savons apprécier à leur juste valeur les événemens maritimes. Voilà une traversée bien courte et en apparence bien facile : que de fatigues, d’émotions, de résolutions soudaines et décisives, ce trajet de quelques lieues cependant représente! Je me serais reproché d’abréger le rapport du capitaine Motard ; je le trouve à chaque ligne rempli d’enseignemens. Si l’on suivait mon conseil, nous naviguerions plus souvent en temps de paix comme on sera obligé de naviguer en temps de guerre. Les signaux de reconnaissance deviendraient d’un usage constant; les branle-bas de combat de jour et de nuit seraient, de tous les exercices, le plus fréquent et le plus régulier. On se fait difficilement une idée de la tension d’esprit d’un capitaine toujours en alerte. Il faut que le commandement puisse compter sur la vigilance des officiers. Sans cette confiance, il n’est pas de capitaine, fùt-il dans la force de l’âge, qui ne succombe à la peine : je ne donne pas trois mois de croisière sérieuse au plus vigoureux pour le voir prendre