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d’eau par heure dans le port, en faisait actuellement deux et demi. J’ordonnai qu’on franchît la pompe, à la fin de chaque quart. » A quelles « vieilles barques » se trouvait alors confié, dans ces mers lointaines, l’honneur du drapeau ! Les Anglais, il est vrai, étaient loin de nous opposer, de leur côté, des vaisseaux neufs. On a vu la Dédaigneuse traîner péniblement sa carène, veuve d’une partie de son doublage, et manquer ainsi l’occasion de combattre la Sémillante dans les conditions les plus avantageuses. En 1808, ce sera une autre frégate anglaise, la Terpsichore, qui se trouvera contrainte, par la vétusté et la fatigue de ses œuvres mortes, de laisser à Madras sa batterie des gaillards. Elle devra continuer ses laborieuses croisières avec vingt-six pièces de 12 et deux canons de 6. La même détresse a mis à l’épreuve, dans une mémorable campagne, l’industrie et l’énergique patience du bailli de Suffren. Je ne crois pas que son adversaire, l’amiral Hughes, ait eu beaucoup plus à se louer de la sollicitude de l’amirauté britannique. A quelle époque et en quel pays n’a-t-on pas oublié les absens?

Le temps, quoique couvert, était assez beau ; le vent souvent faible. « Il se maintint, nous apprend le capitaine Motard, jus- qu’au 10, entre le nord-est et le sud-est. Par 12° 17’ de latitude sud et 54° 16’ de longitude donnée par les chronomètres, le temps devint orageux et à grains, la brise « participa » de l’ouest au nord. » Remarquez avec quelle désinvolture le capitaine Motard parle de ses chronomètres. C’était chose assez rare pourtant, en 1808, que la possession d’une montre marine. Les gros vaisseaux seuls en étaient pourvus ; les petits s’en passaient. La Sémillante s’était enrichie de ces précieux instrumens de navigation aux dépens de ses prises; elle gardait les montres des vaisseaux de la Compagnie des Indes comme un gage parlant de ses victoires. Au temps des Thucydide et des Xénophon, elle eût montré l’aplustre des galères ennemies. A une époque plus rapprochée de nous, le célèbre Alabama a suivi l’exemple de la Sémillante. La chambre du capitaine résonnait du carillon monotone de près de cent horloges.

La mer, fort grosse, semblait agitée par un raz de marée. On prit des ris. Jusqu’au 19 février, il y eut beaucoup de vicissitudes dans le temps; le vent ne cessa pas cependant d’être de la partie de l’ouest. L’intention du commandant Motard était « de s’élever assez à l’est pour pouvoir, avec la mousson de nord-est, actuellement existante, atteindre la vue du cap Comorin. « Il fallait vraiment que la navigation des mers de l’Inde fût devenue chose familière au « capitaine-général des possessions de l’empire français à l’est du cap de Bonne-Espérance » pour que le commandant Motard jugeât tous ces détails techniques de nature à intéresser un ancien soldat de l’armée du Rhin. Le général Decaen a été, pendant six années,