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l’âme des entreprises qui ont tant inquiété le commerce anglais : pour présider à ces expéditions, pour les organiser, il était bien obligé de se renseigner sur le régime régulier et sur les caprices souvent désastreux des moussons. Il lui est quelquefois arrivé de n’en pas tenir compte, et nos marins, je me fais un devoir de le constater, auraient pu regretter alors à bon droit le sage et judicieux contrôle du brave amiral, qui faisait route, en ce moment, vers la France[1].

« La pluie, écrit le commandant Motard, avait été fréquente pendant plusieurs jours : elle cessa le 23. Le 24, je fis faire un exercice à feu général de l’artillerie et de la mousqueterie. On fit également le simulacre de l’abordage et différentes manœuvres de voiles. L’officier d’artillerie me rendit compte que, dans la visite de l’apprêté de l’arrière[2], toutes les gargousses du fond du coffre étaient mouillées. L’accident provenait d’un suintement qui s’était établi du dehors, depuis trois ou quatre jours. Une chose qui a, je crois, contribué à cette avarie, c’est l’arc, de plus en plus grand, que prend chaque jour la frégate. Le défaut de niveau empêche l’eau de se rendre aux pompes. J’ai fait jeter 80 gargousses à la mer. » Comparez donc les conditions dans lesquelles se meut une marine florissante, telle que nous la possédons aujourd’hui, à celles qu’imposait à notre flotte, sous le premier empire, le dépérissement rapide que la pénurie de nos finances et l’absence des bois du Nord, arrêtés à l’entrée de nos ports par les blocus, ne nous laissaient pas la faculté de conjurer. Grandeur et misère, voilà quelle était, en 1808, notre situation. Si les côtes de chêne faiblissaient, les cœurs de fer, heureusement, tenaient bon ; la pourriture ne les atteignait point. Je voudrais inculquer à nos jeunes officiers le respect de leurs glorieux ancêtres. Honneur aux ouvriers qui surent tirer parti de si mauvais outils ! Ne vous semble-t-il pas qu’on n’a point rendu suffisamment justice à la malheureuse marine de la république et de l’empire? Elle a vraiment accompli des miracles. La vérité vaut mieux ici que la légende.

A partir du 26 février, les vents commencèrent à hâler le nord. La frégate était entraînée au sud-est par des courans dont la vitesse

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1886, p. 608, l’opinion de l’amiral Baudin à ce sujet.
  2. Il existait, à bord des frégates et des vaisseaux, deux soutes à poudre distinctes : la soute de l’avant et la soute de l’arrière. On appelait apprêté la provision des gargousses remplies à l’avance. Cette provision, très restreinte avant l’invention des caisses de cuivre à fermeture hermétique, ne dispensait pas, quand l’action se prolongeait un peu, de remplir pendant le combat, au fond des soutes, de nouvelles gargousses. Il est même arrivé quelquefois, m’assurait l’amiral Lalande, qu’on en vînt à charger les pièces « à la cuiller. » Comment s’étonner alors de la fréquence des incendies ? Rappelons-nous le combat du Québec et de la Surveillante.