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puis dans celles des représentans de la Haute-Italie :Vignole, qui est né près de Modène, Serlio, qui a pour patrie Bologne, Palladio, le plus célèbre des enfans de Vicence. Dans la sculpture, un seul Florentin fait encore figure ; il est vrai qu’il s’appelle Michel-Ange ; mais autour de lui quelle médiocrité, et comme on sent bien qu’ici le dernier mot a été dit !

Comparé au rôle de Michel-Ange, celui de Verrocchio, le dernier grand sculpteur florentin du XVe siècle, peut manquer d’éclat ; il ne manqua pas, à coup sûr, d’utilité. Verrocchio fut avant tout un chercheur, sinon un trouveur ; organisation essentiellement incomplète, mais esprit très suggestif, il sema plus qu’il ne récolta[1], et forma plus d’élèves qu’il ne produisit de chefs-d’œuvre. Son bagage est relativement léger. Quand on aura cité l’Enfant au dauphin, le David, le gamin si anguleux et si fier du musée national de Florence, puis l’Incrédulité de saint Thomas, le superbe bronze ample et ému qui tient si dignement sa place dans une des niches d’Or San-Michele, ce Panthéon de la sculpture florentine, et par-dessus tout la statue équestre du Colleone, à Venise, d’une tournure si martiale, on aura épuisé la liste de ses titres de gloire. Ses autres productions témoignent toutes des lacunes de ce talent, dont la patience et l’opiniâtreté forment les qualités maîtresses. Mais la révolution poursuivie par Verrocchio, peut-être avec le concours de Léonard, était grosse de conséquences : elle ne tendait à rien moins qu’à la substitution de l’élément pittoresque, souple, ondoyant et vivant, aux formules plastiques et décoratives, parfois un peu trop faciles, de ses devanciers. Rien de moins arrêté d’ordinaire que ses contours ; la ligne générale ne se dégage que péniblement ; il ignore surtout l’art de marier une statue ou un bas-relief à l’architecture qui doit l’encadrer, comme le prouve surabondamment son Enfant au dauphin, avec son attitude si délicieusement guindée et invraisemblable. C’est le maître aux physionomies chiffonnées, aux draperies fouillées et tourmentées et, à cet égard, personne ne s’est moins inspiré de l’antiquité, soit que l’on considère la netteté de la conception (tout comme Léonard, il ignore les idées littéraires, les traits d’esprit, le pathétique convenu et courant), soit que l’on s’attache à la distinction ou à la plénitude des formes. Mais il apporte une sincérité extraordinaire dans son travail ; il sait faire courir un frisson de vie à travers ses membres si grêles, rendre la moiteur de la peau, obtenir avec ses draperies aux mille plis des effets saisissans

  1. Dans un volume publié il y a peu de jours, M. le docteur Bode, l’un des directeurs du musée de Berlin, a suivi avec une rare sagacité, à travers une masse de sculptures et de peintures, la trace de l’influence de Verrocchio. (Italienische Bildhauer der Renaissance : Berlin, Spemann, 1887, p. 86 et suiv.)