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L’hypothèse de ce voyage en Orient écartée, il nous reste à rechercher dans quelles circonstances Léonard vint se fixer à la cour des Sforza, si célèbre par sa magnificence et par sa corruption. A quelle époque entreprit-il ce voyage mémorable, qui n’a pas seulement eu pour effet de créer l’école milanaise, qui a encore imprimé le sceau de la perfection aux œuvres mêmes du maître ? L’auteur anonyme de la vie de Léonard publiée par M. Milanesi raconte que l’artiste comptait trente ans lorsque Laurent le Magnifique l’envoya, en compagnie d’Atalante Migliarotti, porter un luth au duc de Milan. D’après Vasari, au contraire, Léonard aurait entrepris ce voyage de sa propre initiative. Les deux biographes sont d’ailleurs d’accord au sujet de l’épisode du luth: « Léonard, dit l’un, devait jouer du luth devant ce prince passionné pour la musique. Il arriva portant un instrument qu’il avait façonné lui-même, presque entièrement en argent et ayant la forme d’un crâne de cheval. Cette forme était originale et bizarre, mais donnait aux sons quelque chose de plus vibrant et de plus sonore. Il sortit vainqueur de ce concours ouvert à beaucoup de musiciens, et se montra le plus étonnant improvisateur de son temps. Ludovic, séduit encore par l’éloquence facile et brillante de Léonard, le combla d’éloges et de caresses. »

Pour ce qui est de l’intervention de Laurent le Magnifique, rien de plus vraisemblable que la version donnée par l’anonyme. A tout instant, on voit Laurent remplir le rôle d’intermédiaire entre les Mécènes et les artistes. C’est ainsi que vis-à-vis des rois de Naples, des ducs de Milan, du roi de Hongrie ou de simples municipalités, nous le voyons se charger sans cesse avec empressement de commissions de cette nature. Vis-à-vis de Ludovic le More en particulier (Ludovic était alors régent du Milanais, pour le compte de son neveu Jean Galéas : il ne fut nommé duc qu’en 1494), nous savons que ce ne fut pas la seule fois que Laurent lui rendit un service de cette nature : il lui adressa, quelques années plus tard, le célèbre architecte florentin Giuliano da San-Gallo, qui commença pour lui la construction d’un palais.

Quant à la date du voyage, les critiques varient singulièrement. Vasari par le de 1493, MM. Morelli et Richter de 1485, la majorité des autres critiques modernes de 1483. Examinons ces différentes hypothèses. Un auteur du XVIe siècle, Sabba da Castiglione, raconte que Léonard consacra seize années au modèle de la statue équestre de François Sforza, modèle qu’il abandonna en 1499. En retranchant de cette dernière date le chiffre de seize, nous trouvons la date de 1483. D’autre part, des documens d’archives nous montrent Léonard fixé à Milan en 1487, en 1490, en 1491, en 1492. La date de 1493, mise en avant par Vasari, doit donc être absolument abandonnée.