Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/685

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le spirituel amateur italien, dont les paradoxes ont fait tant de bruit en Allemagne il y a quelques années, le « senatore » Morelli, se fonde d’autre pan sur le témoignage da même Vasari pour affirmer qu’en 1484 Léonard se trouvait encore à Florence. « Après le départ de Verrocchio pour Vepise, c’est-à-dire en 1484, raconte le biographe Giovanni Francesco Rustici, qui avait déjà connu Léonard dans l’atelier de Verrochio, s’établit avec le jeune maître, qui avait beaucoup d’affection pour lui. » Mais Rustici, étant né en 1474 seulement, n’avait que dix ans lors du départ de Verrocchio, et par conséquent ne pouvait guère avoir reçu les leçons de ce maître, pas plus que celles de Léonard. Ce fut plutôt en 1504, lors du retour de Léonard dans sa ville natale, que celui-ci aura donné des conseils et des leçons à son jeune ami. C’est vers cette époque précisément que Léonard l’assista dans l’opération de la fonte de trois statues destinées au Baptistère. Ce qui confirme cette manière de voir, c’est que, au dire de Vasari, Rustici apprit surtout de Léonard à exécuter des chevaux en ronde-bosse ou en camaïeu. Or Léonard était bien plus adonné à cet ordre d’études en 1504, après ses longs efforts pour la statue équestre de François Sforza, et au moment de l’exécution de la fameuse Bataille d’Anghiari, dont un combat de cavalerie forme le thème principal, qu’en 1484. (Il est d’ailleurs intéressant de constater que, dans son mémoire à Ludovic le More, Léonard se vante déjà d’être capable d’exécuter la statue équestre de François Sforza.) Pour les raisons qui viennent d’être exposées, il faut donc, jusqu’à preuve du contraire, assigner la date de 1483 au départ de Léonard pour Milan. Cette date concorde, en outre, avec le témoignage de l’auteur anonyme, d’après lequel Léonard (né en 1452) comptait trente ans lorsqu’il s’établit à Milan.

On comprend qu’à une nature de grand seigneur telle que Léonard, l’horizon florentin ait paru quelque peu borné, que l’artiste se soit senti mal à l’aise dans ce milieu, qui n’avait cessé d’être essentiellement bourgeois, car les préjugés populaires contre la noblesse et tout ce qui rappelait la tyrannie n’avaient rien perdu de leur force ; malgré leur omnipotence, les Médicis du XVe siècle, Cosme, Pierre, fils de Cosme, et Laurent le Magnifique, se virent constamment obligés de compter avec eux. En outre, quelle que fût la libéralité de ces opulens marchands et banquiers, ils ne disposaient ni d’honneurs, ni de places, ni de trésors comparables à ceux de princes souverains. L’artiste, dans ce milieu où continuait à régner un farouche esprit d’égalité, était condamné à vivre modestement, bourgeoisement. Quelle sujétion pour un esprit aussi brillant, aussi exubérant ! Le luxe d’une cour, des fêtes magnifiques à organiser, des expériences grandioses à instituer, une fortune