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Michel-Ange et de Dante, et avec eux l’un des trois esprits souverains de la Renaissance italienne, M. laine ait méconnu l’un des plus rares exemplaires qu’il y ait eu de l’homme? Car enfin c’est à peine si M. Thiers en a fait un plus magnifique éloge; le prince Napoléon lui-même, quelque bonne volonté qu’il en eût, n’a rien dit qui le mette plus haut; et si l’on veut des expressions plus fortes, ce n’est pas aux historiens, c’est aux poètes qu’il faut les demander, à Chateaubriand, à Lamartine, à Victor Hugo. Mais une autre comparaison parait avoir surtout blessé le prince Napoléon, et si nous ne saurions, évidemment, lui refuser le droit de s’en blesser, nous avons toutefois, nous, celui de n’y voir que ce que M. Taine y a mis.

« Extraordinaire et supérieur, disait donc M. Taine, fait pour le commandement et la conquête, singulier et d’espèce unique, il faut remonter pour le comprendre jusqu’aux Castruccio Castracani, aux Braccio de Mantoue, aux Piccinino, aux Malatesta de Rimini, aux Sforza de Milan. » Et la comparaison n’était point de lui, mais de Stendhal, — au commencement de son Histoire de la peinture italienne, — et Stendhal est un contemporain que ses fonctions, si je ne me trompe, ont plus d’une fois approché de l’empereur. Veut-on faire là-dessus que les Bonaparte ne soient pas d’origine italienne? ou qu’il soit défendu d’étudier Napoléon dans ses origines? et de rechercher les commencemens de son caractère dans celui de ses ancêtres? Le prince Napoléon n’y consentirait pas un instant, lui, qui nous a si bien montré tout ce que l’empereur tenait de sa mère : « les traits de son visage, ses instincts religieux, sa résolution, ce calme d’âme dans les plus grands périls. » Et qu’est-ce qu’une telle comparaison enfin, résumant et illustrant une semblable recherche, peut avoir de blessant, lorsque l’on pense, comme M. Taine, et qu’on le dit, qu’en aucun temps ni en aucun pays « la plante humaine » n’a été plus forte ou plus belle, n’a poussé de plus vigoureuses ramures ou étendu de plus riches frondaisons, que dans l’Italie de Michel-Ange et de César Borgia, de Jules II et de Machiavel? On peut ne pas aimer ce genre de comparaisons; on peut craindre, — et nous le craignons, — qu’elles n’embrouillent, en le compliquant de tout un appareil de lectures et d’érudition, ce qu’elles ont l’air d’expliquer; on peut ajouter qu’en général, comme Saint-Just est plus connu que « le calife Hakem, » de même Napoléon l’est mieux que Castruccio Castracani; on ne peut pas dire que la comparaison rabaisse Napoléon, encore moins qu’elle soit injurieuse; et, si elle n’explique pas, elle éclaire du moins certains côtés douteux ou obscurs de son génie.

Que manque-t-il donc au Napoléon de M. Taine ? Évidemment, c’est ce que je ne saurais avoir la prétention de dire en quelques lignes, puisque le prince Napoléon, dans tout un livre, ne l’a pas pu. Je pense,