Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/692

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutefois, qu’il lui manque d’abord d’avoir été peint par une autre main que celle de M. Taine, et surtout dans un autre livre que les Origines de la France contemporaine. J’entends par là qu’à mesure que M. Taine avançait dans ce grand ouvrage, la première violence de son st le l’y engageait lui-même, de volume en volume, à de nouvelles violences. Ayant tracé de l’Ancien régime le tableau que l’on sait, — et dont il est bon, en passant, de noter que le prime Napoléon continue de trouver les exagérations parfaitement légitimes, — M. Taine, sans manquer à la plus simple équité, ne pouvait pas se montrer plus indulgent aux crimes de la révolution qu’aux sottises de la monarchie. Mais, après avoir peint la Révolution de la manière trop forte, et avec les couleurs crues et voyantes qu’il y avait employées, comment, sans rompre l’unité de son œuvre, eût-il pu nous représenter l’empire et l’empereur avec des traits plus adoucis et sous un jour plus favorable? C’est pourquoi, si l’on veut avoir sa vraie pensée, il faut, en le lisant, commencer par rabattre la moitié des choses qu’il dit, ou de la manière dont il les dit. Supposé qu’il traitât Louis XV d’Héliogabale, cela signifierait seulement que le royal amant de la Pompadour et de la Du Barry n’a pas respecté la foi conjugale. Pareillement, en qualifiant naguère Danton de Cartouche et de Mandrin, M. Taine ne voulait parler que d’une certaine énergie dans le mal dont ces bandits fameux avaient fait preuve. Et pareillement aujourd’hui, quand il compare Napoléon à César Borgia, comptez que ce Borgia-là n’est dans sa pensée ni le ruffian, ni l’assassin, ni l’empoisonneur de la légende, mais le type accompli du prince de Machiavel, et de ce que les Italiens de la renaissance appelaient du nom étrangement appliqué de Virtu. Par malheur, il n’en est pas moins vrai que si ces gros mois, pour M. Taine, et à mesure qu’il en abusait, ont perdu de leur force, ils l’ont conservée tout entière dans la langue usuelle; qu’avec de pareils procédés, ce que l’on veut ou ce que l’on croit peindre, il nous parait, à nous, lecteurs qu’on le déforme; et que le Napoléon de M. Taine, après sa Révolution, et après son Ancien régime, en est un nouvel et non moins mémorable exemple.

C’est au surplus une idée chère à M. Taine, que le commencement de l’art consisterait, et la formule est de lui, — « dans une altération systématique des rapports réels des choses; » et c’est encore par là que son Napoléon se distingue si profondément de la nature et de la vérité. M Taine n’appuie que sur de certains caractères, auxquels il subordonne tous les autres d’une telle manière, qu’ils en deviennent imperceptibles. Par là, en la supprimant, il se tire de la principale difficulté du portrait historique : c’est de remettre à leur juste place, dans une physionomie, les mille et une contradictions qui en font l’originalité. Tout est plus simple, mais tout est moins vrai; tout est