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Faut-il aller plus loin? et, avec le prince Napoléon, faut-il aussi lui reprocher d’avoir méconnu le génie pacifique de l’empereur? Voilà bien au moins la découverte la plus étrange, plus singulière elle toute seule que toutes celles de M. Taine, et nous aurons besoin d’un peu de temps pour nous y faire. « La paix en 1805, dit le prince Napoléon, la paix en 1807, la paix en 1809, la paix en 1812, la paix en 1813, qui donc la désire plus que lui? » Qui ? mais ses ennemis d’abord, puis ses peuples ensuite, et enfin ses maréchaux, — pour ne rien dire de ses frères. On « accepte » la paix quand on est chef d’empire, et on la propose au besoin, pour mieux se préparer à de nouvelles guerres ; on ne la « désire à point, et surtout on ne l’aime pas quand on respire dans les combats comme dans son élément naturel. La guerre, qui fut pour de très grands peuples une industrie nationale, était pour un Napoléon le jeu normal et le fonctionnement naturel de son activité. Comment d’ailleurs, en le dépouillant de « cette gigantesque ambition, » et de « cette soif de domination, » dont la passion de la guerre était la cause bien plus que l’effet, le prince Napoléon ne s’est-il pas aperçu qu’il était à son oncle les raisons mêmes de vivre? Et comment n’a-t-il pas vu qu’à nous, qui ne sommes pas tellement dégénérés de nos pères, ce qu’il enlevait en même temps, c’était la raison des honneurs ou du culte national que nous rendons encore à la mémoire de Napoléon? Car les hommes sont ainsi faits que ce que nous aimons en ces victoires dont le prince évoque le nom glorieux, Arcole, Rivoli, Marengo, Austerlitz, Iéna, Friedland, Burgos, Espinosa, Somo-Sierra, c’est le témoignage de notre ambition conquérante et des sacrifices que nous avons été capables de lui faire; ce sont ces syllabes étrangères dont le son caresse notre orgueil en flattant nos oreilles; c’est l’impérissable écho du bruit dont nos armes ont autrefois rempli et étonné le monde. — Mais le prince Napoléon le sait bien; seulement il avait ses raisons pour faire comme s’il l’ignorait; et c’est ici que son livre, dans le seul chapitre qui répondît à ce que l’on attendait, tourne court, et s’achève piteusement en manifeste.

Il ne nous appartient pas de le suivre sur ce terrain. Mais quand il s’efforce de confondre la cause de Napoléon avec la cause de la révolution même et de la France contemporaine, nous pouvons faire, au point de vue de l’histoire, deux remarques de quelque importance. La première, c’est que, les opinions de M. Taine sur la révolution étant assez connues, vu qu’elles ont fait assez de bruit, on ne fait rien contre M. Taine, ou plutôt on fait pour lui, quand on confond la cause de l’empire et de l’empereur avec celle de la révolution. Si M. Taine, selon le mot célèbre, n’a voulu voir dans Napoléon qu’un « Robespierre à cheval, » ce n’est pas, comme fait le prince, en mettant ce Robespierre à pied, qu’on lui rendra M. Taine plus indulgent ou plus équitable.