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premiers jours, ce vice fondamental est manifeste dans l’édifice européen, et il y produit, au bout de quinze ans, l’effondrement brusque : dans l’édifice français, il est aussi grave, quoique moins visible ; on ne le démêlera qu’au bout d’un demi-siècle ou même d’un siècle entier, mais ses effets graduels et lents ne seront pas moins pernicieux et ne sont pas moins sûrs. » Cela veut dire que M. Taine, dans le dernier volume de ses Origines, s’engage à nous montrer, dans la société que nous sommes aujourd’hui, les effets inaperçus de te vice fondamental. Et, en vérité, l’histoire de l’empire ou celle de la révolution sont-elles donc si complètement faites et parfaites, que M. Taine, avec sa ténacité d’observation et sa lenteur puissante, n’y puisse rien découvrir, rien ajouter ou changer à ce que nous en savons ? Ou, d’autre part, la France contemporaine est-elle si sûre de son lendemain, les sociétés modernes tellement confiantes en leur propre durée, que l’on ne puisse pas se demander si les institutions qui les soutiennent depuis quatre-vingts ans ne vont pas s’usant, craquant, et s’effondrant lentement tous les jours. Dans un précédent volume, celui qu’il a intitulé le Gouvernement révolutionnaire, ce que M. Taine a dit du Programme jacobin, de ses lacunes, de ses vices, et de ses chimères, il ne l’aurait pas dit, comme on l’a vu depuis, s’il n’avait eu lui-même son programme plus pratique, plus honnête, et plus complet à y opposer. De même, s’il a parlé, comme l’on sait, de l’œuvre de Napoléon, c’est qu’il se forme une certaine idée de ce qu’elle eût pu ou de ce qu’elle eût dû être, et dans le dernier volume dont cette Étude n’est qu’un fragment, il nous dira ce que le consulat et l’empire, au lieu de ce qu’ils en ont fait, pouvaient faire de la France du XIXe siècle.

Alors, et alors seulement, nous pourrons juger M. Taine à son tour. Car, et c’est ici que l’on n’est pas toujours juste envers lui, ce n’est pas, lui non plus, une Vie de Napoléon, ni une Histoire de la révolution, ni une Histoire de l’ancien régime, que M. Taine s’est proposé d’écrire ; mais ce sont les Origines de la France contemporaine qu’il a voulu démêler dans l’histoire ; et tout le reste n’est que les prémisses ou la préparation de cette conclusion. On ne saurait donc juger ses conclusions avant de les connaître, mais on ne saurait surtout l’enfermer, en quelque sorte malgré lui, dans ses prémisses. Il y a toute une part encore des jugemens de M. Taine sur l’ancien régime, sur la révolution, et sur Napoléon, non pas obscure, mais douteuse pourtant et relative, qui ne deviendra définitive et absolue qu’avec la dernière page du dernier volume de ce grand ouvrage.

On a seulement le droit de trouver que quatre ou cinq gros volumes font peut-être un bien gros appareil pour quelques pages de conclusion, et, sans insister autrement là-dessus, on peut penser, à un autre