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l’opinion prend par la main, pour ainsi dire, auxquels elle commande des crimes en vue d’un programme qu’elle leur impose. Tel fut Bonaparte, tel fut David. Le criminel, en pareil cas, c’est surtout la foule, vraie lady Macbeth, qui, dès qu’elle a choisi son favori, l’enivre de ce mot magique : «Tu seras roi. » Jonathas lui-même, avec une modestie exquise, s’inclinait devant David. Celui-ci ne faisait pas des actes directs de prétendant ; mais il s’envisageait comme une sorte d’héritier désigné, pour le cas où le roi viendrait à mourir. La situation devenait chaque jour plus fausse entre David et Saül.

Selon une version contenue dans les parties de la biographie de David qui n’ont qu’une médiocre autorité, Saül aurait essayé une ou deux fois de le percer de sa lance. Ce qu’il y a de sûr, c’est que le malheureux roi se rongeait intérieurement. Il chercha autant que possible à éloigner David. On lui prêta l’idée de lui confier des missions périlleuses pour le perdre : « Qu’il meure, se serait-il dit, de la main des Philistins! » Mais toutes ces petites expéditions, dont on racontait des merveilles, ne faisaient que rendre David de plus en plus cher au peuple. On raffolait de lui, et le pauvre Saül put en effet prononcer dans son cœur le mot qu’on lui prête : « Il ne lui manque plus que la royauté. » Si ce qui est raconté des mésintelligences dj Samuël et de Saül a quelque vérité historique, on pourrait dire que le parti iahvéiste, mécontent de Saül, passa du côté de David. Nous sommes trop peu renseignés pour nous exprimer d’une manière aussi précise. David, cependant, fut bien ce qu’on peut appeler, en tenant compte de la différence des temps, le chef du parti clérical. Les écoles de prophètes, à Rama, les prêtres de Iahvé, à Nob, intriguaient ouvertement pour lui. Le parti clérical, sous les dehors les plus divers, a toujours eu le don d’agacer vivement ses ennemis. On conçoit combien toutes ces taquineries, grossies par la susceptibilité exaltée de Saül, devaient agir sur une imagination malade et des nerfs excités.

Pour se donner l’air de partager le sentiment d’enthousiasme de la foule, en réalité pour perdre son rival, en l’engageant de plus en plus dans un rôle de brillans périls, Saül lui donna en mariage sa fille Mikal. Mais tout se tourne contre les jaloux. Mikal aima beaucoup le jeune héros et prit parti pour lui contre son père. Jonathas écarta deux ou trois fois les projets homicides qui naissaient dans l’esprit de Saül. Quant à Mikal, on raconta l’affaire d’une manière plaisante. Sachant que des gens voulaient venir tuer son mari, elle le fit échapper et mit dans le lit, à sa place, le téraphim de la maison, l’affublant d’habits et le coiffant d’une couverture en poil de chèvre, pour tromper les assassins. Ces grands