Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/788

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à David couvait des yeux avec d’autant plus de soin que Jonathas avait presque abdiqué, déclarant hautement (du moins les partisans de David l’affirmaient) qu’à la mort de son père, ce serait David qui serait roi. Après la bataille de Gelboé, Abner, qui probablement avait passé le Jourdain avec les débris de l’armée, proclama Isbaal à Mahanaïm en Galaad.Isbaal fut reconnu par tout Israël, excepté par la tribu de Juda. Alors s’établit la distinction des deux mots Israël et Juda, qui, dans quatre-vingts ans, se dresseront l’un vis-à-vis de l’autre comme deux drapeaux contraires. Juda devint, dans l’ensemble des Beni-Jacob, une unité à part. La division, un moment supprimée par la bravoure de Saül, reprenait ses droits ; tant l’unité était peu dans l’esprit de ces vieux peuples, encore préoccupés avant tout de rivalités de tribus et de compétitions de chefs !

Pendant qu’Isbaal était proclamé au-delà du Jourdain, David ne bougeait pas de sa retraite de Sikiag. Tout en pleurant Saül, il se mettait en mesure de lui succéder. Par ses largesses, il avait gagné presque toute la tribu de Juda. Donner aux uns ce qu’on vole aux autres est un jeu qui, vu l’énorme égoïsme des hommes, réussit presque toujours. David, d’ailleurs, s’était formé, avec ses bandits, un noyau d’armée des plus solides. Trois Bethléhémites, tous trois de sa famille, étaient devenus à son école des soudards de la plus rude espèce; c’étaient Joab, Abisaï, Asaël, tous trois fils de Serouïa, sœur ou belle-sœur de David. Les brigands de Siklag résolurent de s’emparer d’Hébron, la grande ville de ces contrées. David, selon son usage, consulta l’éphod d’Abiatar : « Marcherai-je vers quelqu’une des villes de Juda? » demanda-t-il. Iahvé répondit : « Marche. » Et David, demanda encore : « Vers laquelle? » Iahvé répondit : « Vers Hébron. » David se mit en marche avec ses deux femmes, Ahinoam, Abigaïl, et sa bande. Tout ce monde campa dans les environs d’Hébron. La tribu de Juda se groupa autour d’eux par une sorte de mouvement spontané. David fut unanimement proclamé roi de la maison de Juda (vers 1050 avant J.-C). Il avait, à ce moment, environ trente ans.

Désormais, ses vues s’étendirent à Israël tout entier. Il fit part de son élection comme roi de Juda à diverses villes, en particulier à Jabès en Galaad, qu’il remercia pour le soin qu’elle avait eu de la sépulture de Saül. Il se porta en tout comme héritier et solidaire de Saül, témoignant que les intérêts de tout Israël lui allaient au cœur. A la bravoure, à la flexibilité, à l’esprit qu’il avait montrés jusque-là, il allait joindre l’habileté du politique le plus consommé, les subtilités du casuiste le plus raffiné, l’art équivoque de profiter de tous les crimes, sans jamais en commettre directement aucun.

La reconnaissance qu’il devait à la famille de Saül ne l’arrêta pas