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et à certaines maisons religieuses de nos jours, on a reproché de se livrer à des opérations industrielles ou commerciales sans même payer patente. L’Anglais Fletcher disait, au XVIe siècle, que les moines étaient les plus grands marchands de la Russie. Aujourd’hui, on ne saurait dire que les monastères d’hommes ou de femmes s’adonnent au commerce; ils se contentent de vendre les produits de leurs terres ou de leur travail. Ce qui est vrai, c’est que plusieurs possèdent, dans les villes, des maisons et des magasins qu’ils louent aux commerçans, et d’où ils tirent un revenu élevé. Saint-Serge, par exemple, touche annuellement une centaine de milliers de roubles pour ses maisons et magasins de Moscou et de Pétersbourg. En outre, certains marchands moscovites lui abandonnent une part du revenu de leurs immeubles ou du produit de leurs affaires.

Les couvens ont beau posséder des terres ou des maisons au soleil, il est malaisé d’évaluer leur richesse. Les sources en sont trop multiples et trop cachées. On a évalué l’ensemble de leurs revenus à une dizaine de millions de roubles, ce qui, pour plus de cinq cents couvens, ne ferait pas 20,000 roubles par maison. On a de même estimé leurs valeurs mobilières à 20 ou 25 millions (de roubles), sans compter les objets précieux de toute sorte : or, argent, pierreries, vases, reliquaires, en possession des moines. En Russie, comme ailleurs, il s’est trouvé des barbares pour conseiller de mettre en vente ces vénérables trésors de l’art national, afin de mieux doter la bienfaisance publique ou l’enseignement populaire. D’autres amis du progrès, faisant valoir que les richesses ne conviennent point à l’institution monastique, se contenteraient de mettre la main sur les terres et sur les revenus des moines pour grossir le budget de l’instruction publique. C’est là une question qu’on a plus d’une fois agitée. Quelques réformateurs iraient jusqu’à supprimer entièrement les couvens, dans l’intérêt même de la religion, afin d’attribuer leurs revenus au clergé séculier. Les projets de ce genre sont rarement exempts d’une part d’illusion. On oublie que les grandes laures historiques de la Russie ne sauraient vivre sans revenus ; que le peuple n’est pas préparé à les voir fermer ou à voir de simples popes y remplacer les moines. On oublie surtout que la plus grande partie des ressources des monastères leur vient toujours de l’aumône, et que supprimer les couvens, ce serait, le plus souvent, supprimer leurs revenus.

Les moines ont conservé la principale source des revenus monastiques, les offrandes, source ancienne, profonde, qui, depuis des siècles, jaillit de toutes les couches de la terre russe; loin de tarir, elle va sans cesse grossissant. Aux couvens appartiennent la plupart des reliques et des images en renom ; aux couvens vont la plupart des pèlerins et des aumônes. Les chemins de fer et l’émancipation