Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/866

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

direction des autorités ecclésiastiques. Comment s’en étonner alors qu’en France, au lendemain de la révolution de 1848, M. Thiers voulait abandonner tout l’enseignement primaire aux frères et aux curés ? Il est vrai que l’église russe est loin d’avoir pour l’enseignement la même passion et les mêmes ressources que l’église catholique. Pour que le récent essor des écoles paroissiales se soutienne et que le règne d’Alexandre III ne revoie pas les déceptions du règne d’Alexandre II, il faut que les habitudes du clergé changent singulièrement. Naguère encore, il montrait si peu de souci de l’instruction du peuple qu’il ne se donnait même pas toujours la peine de lui apprendre le catéchisme. Les zemstvos avaient beau rétribuer le prêtre pour enseigner à l’école « la loi de Dieu, » ainsi que disent les Russes, nombre de popes oubliaient ce premier devoir de leurs fonctions. Après cela, on comprend que plus d’un sceptique doute encore de l’aptitude du clergé à l’enseignement.

Ce n’est pas seulement dans l’école que le clergé doit aujourd’hui contribuer à l’instruction du peuple, c’est aussi dans l’église. La prédication, le mode d’enseignement propre au clergé, avait, jusqu’à une époque toute récente, presque entièrement disparu de la Russie. La parole vivante était d’ordinaire bannie de l’église. On lui avait substitué des lectures des pères ou de traités approuvés par le synode ; mais ces livres, émaillés de locutions slavonnes et mal lus par le pope, restaient souvent inintelligibles aux masses. Jusqu’à cette fin de siècle, leur piété n’a guère eu d’autre aliment. En fait, le Russe orthodoxe s’est, durant des centaines d’années, passé de toute instruction religieuse. On se demande comment pouvait se transmettre la foi; il est vrai qu’aujourd’hui encore nombre de moujiks en ignorent les dogmes essentiels; beaucoup ne savent même pas leurs prières. Quand la vigne du Seigneur était ainsi laissée en friche par les mains chargées de la cultiver, comment s’étonner d’y voir partout lever l’ivraie de l’hérésie et les folles herbes des sectes?

De Pierre le Grand jusque vers l’avènement d’Alexandre III, la prédication était restée presque entièrement confinée dans les hautes régions ecclésiastiques. Chez le clergé noir, parmi les archimandrites et les évêques, l’éloquence était un moyen de distinction et un titre à l’avancement. Aussi, les principaux orateurs sacrés de la Russie ont-ils été des prélats. Cette éloquence épiscopale excellait surtout dans le panégyrique ; c’est encore le genre national. La raison en est aux institutions. La chaire chrétienne semblait autant s’inspirer de Pline le Jeune vis-à-vis de Trajan que de saint Ambroise ou de saint Chrysostome en face des empereurs. L’éloge du prince et du pouvoir y tenait une grande place. La flatterie y mêlait