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charge paraît quelque peu dérisoire, car les amateurs étaient peu nombreux et le recrutement très difficile. Il fallait, pour susciter un candidat, des argumens du genre de ceux qui font de Sganarelle un médecin. Beaucoup de syndics auraient pu dire comme lui, montrant un bâton : « Je n’ai jamais eu d’autre licence. » On choisissait souvent un régisseur de bas étage, un garde-chasse, un ancien valet du château, comme cela se pratique encore dans quelques coins reculés de nos provinces. Le seigneur faisait venir un de ses laquais et lui tenait à peu près ce langage : « Eh bien ! La Fleur, ces drôles veulent donc avoir un syndic? — Au contraire, monseigneur, ils en meurent de peur. — Tu te trompes, mon ami; ils doivent le désirer, puisque le roi le veut. Fais-toi nommer, mon garçon, et mène-les rondement, ou tu auras de mes nouvelles. »

Tel est le timide grand-père de nos maires de campagne. Il faut croire cependant qu’on prit goût à l’institution, car le nombre des syndics ne cessa d’augmenter jusqu’à la révolution. On voit aussi que ces communautés, mieux régies, savaient mieux se défendre. Leur voix arrivait plus souvent jusqu’aux oreilles de l’intendant. Pour elles, une justice administrative sommaire remplace les lenteurs des parlemens. Elles ne refusent pas la corvée, mais elles en contrôlent l’emploi, et elles crient lorsqu’on envoie les corvéables travailler trop loin de chez eux. Elles se plaignent de ce que leurs chemins sont dégradés, tandis que le roi a de belles routes quatre fois trop larges. Peu à peu, l’administration, gênée dans son arbitraire, est forcée de régulariser ce vieil impôt du travail, et l’ordonnance du contrôleur-général Orry, en 1737, repose surdos principes , peu différens de ceux que nous appliquons aux prestations. Les « chausséeurs » convoquent les habitans pour examiner avec eux l’état des chemins. Les corvéables peuvent se racheter en argent. Quand il s’agit de gros travaux, il y a, comme aujourd’hui, une enquête, un devis, une adjudication. Enfin, l’on confond moins souvent l’impôt du roi et celui de la commune : ce dernier est discuté et consenti par les habitans.

Ainsi l’ancien régime, qui n’a jamais songé à détruire la personnalité morale des grandes villes, a créé quelquefois et partout développé celle des communautés de campagne.


III.

En 1780, les constituans portèrent une main hardie sur les franchises provinciales; mais ils furent moins novateurs qu’on n’est disposé à le croire et peut-être qu’ils ne le croyaient eux-mêmes.