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Tel qui pense inventer ne fait que se souvenir. Leur œuvre est un singulier mélange de sagesse et d’illusion : le chimérique s’est évaporé, le solide est demeuré.

Leur plus grand tort fut de s’imaginer qu’ils allaient inaugurer par décret le règne de la vertu. Ils avaient trop fréquenté Jean-Jacques et pas assez Montesquieu. La rédaction même des actes législatifs s’en ressentait. A les lire aujourd’hui dans l’aride Bulletin des lois, on entend passer le souffle de leurs grandes espérances si promptement déçues. Ce sont des appels à la concorde, à la bonne volonté des citoyens; des complimens que s’adresse le législateur pour avoir assuré l’exercice le plus étendu du droit de cité, la sûreté et la liberté des choix, etc. Avec de pareilles dispositions, on devait supprimer d’un trait de plume toutes les anciennes entraves. On abolit toute distinction de ville, bourg, paroisse ou communauté de campagne, ainsi que les dénominations d’hôtels de ville, d’échevinats et consulats. Plus de droits de présentation ou de présidence, attachés à un titre, à une terre, à une fonction. Tous les anciens agens du pouvoir exécutif, commissaires départis, intendans, subdélégués, sont congédiés et supprimés. L’administration est confiée à une hiérarchie de conseils dont le mécanisme est fort compliqué, car il faut distinguer le bureau, le conseil restreint et le conseil-général de la commune ou du département ; autant de corps emboîtés les uns dans les autres et dont les prétentions se contrecarrent. Ce n’est pas tout : on ne se contente pas de confier aux assemblées la gestion des intérêts locaux, on les investit de pouvoirs qui, partout ailleurs, sont réservés au gouvernement. Les assemblées de département répartissent les contributions directes, dressent les rôles, surveillent les versemens, ordonnancent les dépenses publiques. Leur compétence embrasse l’assistance, les prisons, l’enseignement « politique et moral, » les rivières, les routes, les églises, la salubrité, l’emploi des milices et gardes nationales, c’est-à-dire la totalité du pouvoir exécutif. De trésoriers-généraux, il n’en est pas question. Ils sont remplacés par une multitude de caisses indépendantes, placées sous la surveillance suspecte des officiers de district, sans aucune des règles tutélaires qui distinguent entre la perception et l’encaissement. Les municipalités ont aussi des attributions financières. Elles dirigent les travaux publics. Elles sont érigées en tribunaux de police. On leur confie la régie des établissemens de l’état, des hôpitaux et même des forêts : c’est-à-dire qu’on introduit le loup dans la bergerie. C’est à elles, un peu plus tard, que l’on donne l’administration des biens nationaux. Dans maint endroit, elles ne les lâchèrent plus et les convertirent en vaines pâtures.