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modèle de mauvaise administration. Cinquante ans plus tard, dans la constitution de 1848, Odilon Barrot fit introduire le principe d’un conseil cantonal, qui n’est, ce semble, jamais sorti des limbes. De nos jours, l’idée a été reprise sous différentes formes, et une enquête ouverte au ministère de l’intérieur sur le degré de consistance qu’on pourrait donner à des assemblées de ce genre : on a été arrêté dès les premiers pas par la difficulté de leur trouver un budget. Même les commissions cantonales pour les écoles et pour les chemins, qui sont destinées à éclairer et stimuler les conseils municipaux, ne paraissent pas douées d’une grande vitalité. Tous ces rouages artificiels ne l’ont qu’embarrasser la marche des affaires. Il faut toujours revenir à la règle posée par la constituante et formulée par Malouet : « Dans chaque lieu, l’administration des affaires locales appartient à ce lieu. » Aujourd’hui, comme en 1790, lorsqu’une contestation s’élève sur la limite de deux communes, on s’en tire en consultant les vieilles chartes. Avant de déplacer une borne, on va chercher, dans les archives de la préfecture, l’ancien registre terrier des paroisses. Ce parchemin jauni, antédiluvien, sur lequel la main d’un moine ou d’un curé a tracé gauchement l’ancienne limite de son petit royaume, fait encore foi de nos jours, et atteste ainsi l’origine vénérable, le caractère irréductible de la commune française.

On reproche plus souvent à la révolution d’avoir aboli la division capricieuse mais naturelle des anciennes provinces, et de l’avoir remplacée par un département géométrique qui ne pouvait servir de cadre qu’à des institutions inertes. Il s’est formé toute une légende sur les bienfaits de cette vie provinciale, tarie, semble-t-il, en 1789. Comme s’il suffisait de ressusciter la Normandie, le Poitou, la Guyenne, pour faire sortir de terre autant de petites capitales brillantes et originales, qui tiendraient tête à l’invasion parisienne! C’est confondre, à mon avis, l’indépendance politique avec la vie administrative. Oui, sans doute, si la France était composée d’une série de petits états confédérés, on pourrait voir renaître, sur tel ou tel point de notre sol, quelque variété intéressante de notre vieille civilisation. Encore l’exemple des cités d’Amérique prouve-t-il que l’autonomie, poussée à ses dernières conséquences, ne comporte pas toujours une forte dose d’originalité. Mais qui voudrait sacrifier notre unité politique, fût-ce pour rendre à Toulouse l’éclat de ses jeux floraux, l’usage courant du dialecte provençal aux félibres, ou bien pour restaurer ces fameux états de Bretagne, qui avaient fait de la péninsule celtique un conservatoire d’ignorance et de stérile entêtement? Lorsqu’on gémit sur la disparition de l’ancienne province, on oublie qu’elle n’aurait pas survécu longtemps,