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bien supérieures à l’immobilité de la matière inerte. Plût à Dieu qu’une de nos trop nombreuses constitutions eût vécu autant que notre département ! Elle aurait aujourd’hui l’âge des États-Unis d’Amérique.


IV.

L’n coup d’œil jeté sur nos mœurs administratives confirme absolument ces impressions. Malgré l’excès de tutelle, en dépit d’une ingérence minutieuse et souvent tyrannique, la commune et le département n’ont pas cessé d’être des foyers d’activité, sinon de lumière. Nous ne parlerons pas aujourd’hui des agens d’exécution, pas même de ces excellens maires qui perpétuent dans nos campagnes les traditions patriarcales : on pourrait objecter que leur autorité vient d’en haut, et qu’elle ne prouve rien en faveur de la liberté. C’est dans les conseils qu’il faut chercher l’image exacte du pays. Ce sont leurs obscurs débats qui décideront peut-être de notre aptitude à nous gouverner nous-mêmes.

Qu’on réfléchisse d’abord aux conditions ingrates dans lesquelles nos conseils communaux ont dû végéter avant de s’épanouir au soleil. Jusqu’à ces derniers temps, ils ont été traités en suspects. La constitution de l’an VIII les réduit à l’état de fantômes. La restauration redoute encore ces ombres d’assemblées : en 1818, elle leur adjoint les plus imposés, et comme à cette époque il n’y a point d’élections municipales, les campagnes sont livrées à la haute police des grands propriétaires. La monarchie de juillet rétablit le principe électoral, mais avec quelle timidité ! Le cens est si élevé qu’en fait les plus imposés seuls, absens pour la plupart, ou, comme on disait dans l’ancienne langue, les forains, disposent des conseils. M. de Tracy s’écrie : « Vous enlevez à la société communale son caractère de famille collective. Oubliez-vous donc qu’elle doit statuer, non-seulement sur des dépenses, mais sur des intérêts moraux? » l’élévation du cens ne paraît point encore suffisante : les meilleurs esprits sont hantés par le spectre de l’anarchie. « Il y aurait, dit M. Thiers, 37,000 petits états, qui auraient tous les caractères d’un état indépendant[1] ! » Le grand orateur précise encore mieux sa doctrine en proscrivant, au nom de l’état, les formes les plus spontanées de l’association[2]. Ce sont les idées du temps. Consultez les hommes de cette génération : toute force collective en dehors de l’état leur parait factieuse. Aussi quel

  1. Discours du 6 mai 1833.
  2. Discours du 17 mai 1834.