Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/909

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesure une récolte sur pied, la fait couper sous ses yeux et prélève sa dîme. Ensuite, il passe à une autre ; et quand il a fini de décimer un village, il se rend dans un village voisin. Pendant ce temps surviennent des intempéries qui gâtent les récoltes, font germer les céréales sur pied, pourrissent les raisins frais, font perdre leur sucre aux raisins secs, font tomber les olives et les détruisent. A son arrivée, l’exacteur se plaint, accuse le paysan de négligence, et grossit dans une forte mesure la part qu’il veut prélever; soutenu par la force publique, il la prélève et l’emporte. Telle est dans sa triste réalité l’application du système de la dîme en nature dans le Levant. C’est pourquoi le paysan ne cultive que le nécessaire: tous, s’en tenant à ce minimum de culture, se trouvent plus promptement débarrassés du décimateur et sauvent du moins ce dont ils ont besoin. Le surplus de la terre reste en friche ou en longue jachère; de petites plantes aromatiques couvrent les champs, et le sol d’Asie est parfumé.

Il est certain cependant que ce n’est ni le caractère de la race turque, ni la religion musulmane qui tendent à restreindre la culture dans de si étroites limites. Le Turc des villes est indolent et répugne à la fatigue; le Turc des campagnes est cultivateur, et le travail de la terre est mis en honneur par le Coran. Mais le paysan, découragé par l’organisation fiscale, ne fait aucun progrès ; je l’ai vu labourer ses terres ; il ne les retourne pas, il les effleure ; pour cela, il se sert d’une charrue où n’entre pas une seule pièce de fer: c’est un morceau d’arbre fourchu dont le bec est taillé en pointe ; un cheval le tire et un homme conduit ce simple appareil. La herse n’est guère plus compliquée : c’est un triangle de bois sous lequel sont incrustés des éclats tranchans de quartz, de silex ou d’obsidienne ; cette machine, traînée par un ou deux chevaux, sert aussi de hache-paille. Telle est la base de l’outillage agricole dans le Levant. La vigne est plus cultivée que les autres végétaux, quoique le musulman ne boive pas devin. Le Coran ne lui défend pas d’en préparer et d’en vendre ; de plus, il préconise le raisin sec, aliment des élus au paradis et bon objet de commerce depuis l’invasion du phylloxéra. Un des principaux centres de la production du raisin est la vallée de Thyra ou du Caystre, en relation avec Smyrne par un chemin de fer. Tous les négocians de Bercy connaissent le raisin de Thyra, et beaucoup d’industriels, de viticulteurs et de marchands connaissent le vin de raisins secs. Mais plus d’un ignore que Thyra est à 90 kilomètres au sud-est de Smyrne, et qu’on y va comme de Paris à Pontoise, dans des wagons anglais. Cette voie de communication facile, rapide et peu coûteuse, a contribué puissamment au développement de la culture des vignes. La perception de l’impôt,