Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/912

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MM. Dussaud, connus déjà pour leur collaboration au canal de Suez. J’ai vu Smyrne une première fois en 1850. Au fond de ce golfe merveilleux, le front de la ville se présentait composé de maisons mal construites, jetées pêle-mêle sur une plage que la nature avait faite ; il n’y avait point de quai ; les terres descendues du mont Pagos et les débris d’anciennes villes successivement entraînés avaient formé un vaste talus plongeant sous la mer, comme un glacis de fortification. Les navires n’abordaient nulle part; ils restaient en rade à une grande distance de la terre ; des barques et des mahones faisaient le service pour les voyageurs et les marchandises; la traversée du bateau au rivage ne durait guère moins d’une demi-heure. Cet état de choses exista jusqu’en 1867.

À cette date, le gouvernement du sultan accorda la construction d’un quai à trois Anglais, qui n’avaient pour se couvrir ni une société formée, ni entrepreneurs, ni capitaux. Le quai devait avoir une longueur de 4 kilomètres environ ; on devait le construire en eau profonde, combler la mer entre le quai et le rivage et disposer les égoûts nécessaires à l’assainissement de la ville basse. Pour exécuter cette œuvre coûteuse, les Anglais ne fixaient qu’à 2 millions 1/2 le capital de leur société anonyme et prenaient avec MM. Dussaud, entrepreneurs, l’engagement de leur payer 6 millions en cinq ans, comptant, comme tant d’autres l’ont fait, sur des obligations qui seraient créées. Quand ils émirent leurs actions, ils ne purent retirer de la souscription que 625,000 francs, de quoi payer les machines et les premiers frais de l’entreprise. Quand on vit néanmoins que l’œuvre commençait à se faire, les anciens riverains et les négocians élevèrent des réclamations ; une rangée de constructions nouvelles allait masquer leurs façades, et les quais allaient rendre impraticables leurs traités avec les porteurs; en outre, les droits concédés à la compagnie faisaient d’eux ses tributaires. Les premiers travaux furent arrêtés, puis repris à la suite d’arrangemens survenus. Mais alors les fonds manquèrent à la société; les entrepreneurs lui prêtèrent une petite somme qui ne tarda pas à être épuisée. La faillite était menaçante. Il fallut donc s’exécuter, et les Anglais, endettés à cause de leur imprévoyance, cédèrent, en 1869, toutes leurs actions, avec leurs dettes, à MM. Dussaud.

Ces derniers, devenus maîtres d’une entreprise qui en réalité leur appartenait, poussèrent avec activité les travaux. De nouveaux et plus sérieux obstacles leur furent alors suscités. « Il arriva, dit l’auteur du livre sur Smyrne, ce que nous sommes habitués à voir partout. Les Anglais, tant qu’ils ont vu ou cru voir le succès impossible, se sont montrés indifférens au début, même devant la