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banqueroute qui menaçait leurs compatriotes, premiers concessionnaires de l’affaire. Il a fallu l’intervention de MM. Dussaud pour sauver cette œuvre, et lorsque les Anglais ont VII, au bout de cinq ans, ces vaillans Français accomplir l’œuvre la plus remarquable qui ait jamais été sérieusement essayée en Turquie, ils ont cherché, avec l’appui du gouvernement, à leur susciter toute sorte de difficultés. Et MM. Dussaud frères, qui venaient de dépenser 14 millions de francs pour mener à bien leur entreprise, se sont vus abandonnés et réduits à leurs seules forces pour soutenir une lutte redoutable, d’où ils sont heureusement sortis victorieux. »

Le sujet de la lutte en question était le tarif de la Société des quais. L’ambassade anglaise à Constantinople s’y mêla, et remua ciel et terre pour obtenir des modifications favorables à la Grande-Bretagne. On entra enfin de part et d’autre en conciliation. Le tarif du droit de quai fut réglé de telle manière qu’il égale à peine 1/2 pour 100 de la valeur des marchandises. Ce tarif est de 1883. Je ne veux pas empiéter sur un sujet qui sera traité tout à l’heure; je me contenterai d’une seule remarque : l’œuvre de MM. Dussaud est grandiose ; elle était plus qu’utile, elle était, nécessaire. Mais elle n’exerce aucune influence appréciable sur l’état de l’Anatolie intérieure ; son action cesse à quelques lieues du rivage. Elle ne prendra sa véritable importance que si la civilisation européenne pénètre, avec ses capitaux, ses moyens d’action et son personnel, des contrées aujourd’hui peu accessibles, peu ou mal exploitées et encore livrées à l’incurie ottomane. Les faits précédemment cités suffisent, croyons-nous, à la démonstration. Mais alors on aura besoin d’hommes bien posés, de sociétés riches ailleurs que sur le papier et de capitaux réels et disponibles. Il est bien certain que, si les trois premiers concessionnaires n’avaient pas été conduits par leur étoile aux entrepreneurs français qu’ils ont trouvés, l’œuvre des quais de Smyrne serait encore à faire.

La stagnation des pays du Levant est due certainement aux causes qui viennent d’être énumérées; on les découvre par l’observation et l’analyse. Il en existe néanmoins une autre d’un caractère plus général, et sur laquelle on ne saurait trop insister. Il faut bien se persuader qu’à moins d’être un saint, nul homme ne reste pauvre par choix et ne trouve de plaisir à l’être; cela est vrai en Turquie comme chez nous. L’énorme production de l’industrie manufacturière, qui a causé chez nous la suspension d’affaires dont nous souffrons, produit dans les pays arriérés des effets semblables, non momentanés, mais continus. Nos machines livrent au monde entier des objets de toute sorte à des prix minimes et néanmoins avantageux. Les pays dépourvus d’industrie achètent