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demeure minuscule, ces toilettes, ces voitures et tout cet attirail de poupée, qui s’évaporait ainsi en fumée, allaient subvenir à tous les besoins matériels de la morte, dans l’autre monde où elle entrait désormais, monde ténébreux où, pour diriger ses premiers pas, elle avait besoin de la clarté des cierges qu’on venait d’allumer et qui vacillaient au vent, monde surnaturel et invisible où vont toutes les choses animées de notre monde réel et tangible, lorsque les élémens qui les composaient se sont dissous.

Elle allait recommencer maintenant une vie nouvelle, ou plutôt elle allait continuer sa vie d’autrefois. Il subsisterait d’elle une sorte de fantôme réunissant les linéamens de sa personnalité physique et les traits de sa physionomie morale, une ombre colorée animée de la vie indécise du rêve, une image effacée de ce qu’elle avait été jadis, et comme un second exemplaire de son corps et de son âme.

C’étaient là, pensais-je, les idées qui en cet instant s’offraient à l’esprit des assistans et flottaient dans leur imagination ; c’étaient les vieilles croyances toujours vivaces de la Chine, où l’on retrouve encore les naïves conceptions des races primitives. Elles se sont perpétuées à travers la longue série des siècles, et rien ne les a entamées, ni les dogmes religieux des premières époques historiques, ni les doctrines positives de la période philosophique, ni le scepticisme des temps modernes. Elles ont acquis à cette continuité une importance prépondérante, une influence si puissante sur les âmes, que la préoccupation de l’existence future, le soin de régler ses funérailles et de s’assurer les honneurs d’outre-tombe, la crainte surtout de demeurer sans sépulture ou d’être enterré contrairement aux rites, — sont devenus pour les Chinois la pensée de chaque jour et le plus obsédant des soucis.

Mais, à se transmettre par tant de générations, ces croyances n’ont point gagné en clarté ni en précision, et ce n’est pas un des traits les moins curieux du caractère des Chinois que l’indécision où ils demeurent en ce problème qu’ils considèrent cependant comme la grande affaire de leur vie et qui seul les attire dans les sphères élevées de la spéculation. Avec l’insouciance des races très simples, leur imagination ne s’obstine point à définir l’infini qu’elle conçoit derrière ses symboles mystiques, et, tout en le revêtant d’une forme déterminée, elle se complaît à lui laisser un sens vague et mal arrêté. Leurs idées, à cet égard, sont restées incertaines et flottantes, semblables à ces images douteuses que nous entrevoyons parfois aux heures de demi-veille, qui naissent on ne sait d’où et qui disparaissent comme elles sont venues...

Ainsi, désormais, la morte déroulerait à nouveau la trame de son